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clairon n’ont plus pour moi l’intérêt purement sentimental ou pittoresque des premiers jours. Je sais, à la vérité, que la vie de beaucoup de ces braves gens n’a rien d’idéal ni d’idyllique ; mais je reconnais dans ces provinciaux, avec tous leurs défauts, le vrai nerf de la France, la force vive qui la maintient au premier rang des nations, en dépit de toutes les folies gouvernementales ou autres qui se commettent dans sa belle capitale. »

En tout ce qui concerne nos vertus privées et nos mœurs domestiques, cet observateur sagace et bienveillant nous rend un témoignage dont nous ne pouvons être que touchés, et nous serions bien difficiles, si nous n’étions pas contens de lui. Il nous considère comme une nation remarquable par son honnêteté, qui mérite d’être proposée en exemple pour la façon dont elle entend la vie de famille et le gouvernement d’une maison, pour son industrie, ses habitudes laborieuses, son esprit d’ordre, son épargne qui fait des miracles. Il estime que la France est le pays du monde où la civilisation a le plus pénétré dans les couches inférieures de la société.

Il a visité des régions où les paysans sont encore grossiers ; mais le plus souvent, nous dit-il, leur air rustique est une fausse enseigne, et ils étonnent l’étranger par leur urbanité et le charme de leurs manières. Il les a étudiés et dans leurs travaux et dans leur intérieur : « Leurs provisions de linge, leur cuisine, leur tenue sont des signes visibles de la force d’un peuple dont l’heureux naturel résiste aux leçons de désordre que lui donnent ses gouvernans. Le voyageur qui, à la tombée de la nuit, traverse tel village écarté, aperçoit par la porte ouverte d’une chaumière une table proprement servie, qui témoigne d’un amour du confort inconnu dans les maisons bourgeoises d’autres pays civilisés. » Ce n’est pas à la Révolution que M. Bodley attribue les avantages que nous pouvons avoir sur tels de nos voisins ; c’est à notre passé, à nos origines, à l’hérédité, à de vieilles traditions et à la finesse de la race. Garderons-nous à jamais les qualités aimables qui font de nous un peuple très policé, et les qualités fortes dont nous avons fait preuve au lendemain d’effroyables catastrophes ? Nous ne nous défions pas assez de certains ennemis très dangereux, qui travaillent à nous corrompre et nous empoisonnent l’esprit. Heureusement, trois grandes corporations exercent sur nous une influence bienfaisante, et leurs vertus contre-balancent « le mal que nous font des gens en vue dont les discours et les actions remplissent les journaux. » Ces trois corporations, fort dissemblables au demeurant, mais dans (lesquelles règnent le sentiment du devoir, l’esprit de sacrifice,