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soit admirable, et qu’il suffise d’être obscur pour avoir du génie ? Il est facile d’appeler le Balzac de la « sculpture wagnérienne », mais il le serait infiniment moins d’établir des analogies autres que l’insuccès. Il est facile de dire : Phidias, Michel-Ange et Rodin, comme on dit : Homère, Shakspeare et Villiers de l’Isle-Adam, — procédé renouvelé de la pratique électorale, — afin d’entraîner l’adhésion aux derniers noms par la présence, en tête de liste, de noms auxquels vont tous les suffrages ; mais, ce qu’il faudrait faire, c’est nous dire pourquoi, admirant Shakspeare, nous devons nécessairement admirer aussi Villiers de l’Isle-Adam. Et parce que telles œuvres de Carpeaux ou telles autres de Courbet furent incomprises et refusées de leur temps, il ne s’ensuit pas que toutes les œuvres incomprises soient des merveilles, sans quoi, que de merveilles ! Et quelle belle opération financière eût faite ce singulier amateur, mort il y a quelques années, qui avait acheté vingt mille toiles refusées au Salon depuis une quarantaine d’années ! Pourquoi parle-t-on toujours de Wagner le musicien, à propos de M. Rodin, et pas du sculpteur Préault ? Ce fut de son temps un grand refusé devant le jury et un grand incompris devant la foule. « Chaque année, raconte un de ses biographes, Préault persistait à accabler de ses envois le jury du Salon qui s’acharnait à les refuser. Cela dura près de quinze ans et finit par lui faire une réputation. Les critiques avancés prirent en mains sa cause. On en fit une machine de guerre en faveur de l’art libre, émancipé, viril, qui avait brisé les vieilles lisières, l’art de l’avenir en un mot contre l’art du passé, timide, étroit et routinier. Il passait, d’emblée, au rang des novateurs puissans, dont l’audace soulève toutes les protestations peureuses et jalouses de la médiocrité. On répétait ses épigrammes à l’emporte-pièce contre l’Institut, qu’il appelait la loge aux reptiles, Ingres, qu’il traitait d’ampoule et de Chinois qui se prend pour un Athénien ; Couture, qui était une tumeur ; Chenavard, qui était un mancenillier ; Pradier, dont il disait ingénieusement qu’il partait tous les matins pour Athènes et arrivait tous les soirs quartier Bréda ; Delacroix, la diarrhée de la couleur… Depuis 1848, il exposa d’une façon irrégulière et avec des succès fort inégaux, exalté par les uns, dénigré par les autres, objet de discorde et de scandale pour la critique…[1] » On parlait donc, il y a cinquante ans, de la

  1. Victor Fournel, les Artistes français contemporains, 1885.