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ce qui tient à l’histoire politique et parlementaire, sont la découverte de l’Amérique, qui a mis l’Angleterre au centre du monde moderne ; la Réforme et la Révocation de l’édit de Nantes qui l’ont placée, à deux reprises, à la tête de l’Europe protestante ; la Révolution française qui a fait d’elle le pivot de l’Europe monarchique ; le règne de la vapeur et de l’électricité qui a établi entre elle et ses colonies les plus lointaines une communication incessante et intime ; le percement du canal de Suez qui a abrégé des deux tiers la route des Indes. Il est facile de mesurer la part d’initiative qui revient à l’Angleterre dans tous ces événemens. L’Espagne, puis la Hollande l’ont obligée à construire une flotte de guerre. Dans notre siècle même, elle n’a transformé cette flotte et changé tout son système de constructions navales que quand la France, au temps de Dupuy de Lôme, lui en eut donné l’exemple. Quant à la flotte marchande, ce sont les besoins de son industrie qui l’ont créée, et son industrie elle-même est née de l’impossibilité où elle se trouvait de rester un pays de production et de nourrir ses enfans. Elle n’a possédé de colonies qu’un siècle et demi après l’Espagne. Elle a fondé son premier empire par la faute d’un de ses rois ; elle l’a perdu par la faute d’un autre prince. Elle a dû son second empire à l’excès de sa population et, par conséquent, à la fécondité de ses mariages : Tu, felix Anglia, nube. Ce second empire s’est fait en dépit d’elle et presque à son insu. Enfin elle a conquis l’Inde sans le vouloir et la garde sans être parfaitement sûre qu’elle ait de bonnes raisons pour le faire. On serait tenté de dire que l’Angleterre de Seeley, comme son Napoléon, « manque d’originalité. » Mais, parmi les facteurs de la grandeur anglaise, nous avons omis la personnalité morale du peuple anglais, formée et grandie dans ces combats pour la liberté politique et religieuse, que Seeley s’efforçait d’ignorer ou d’amoindrir, parce qu’ils sont l’éclatante manifestation de l’individualisme. Sans le caractère anglais, à quoi eussent servi les cadeaux déposés par les fées dans le berceau de la « petite Angleterre ? »

Mais admettons que, durant trois siècles, elle ait été le serviteur aveugle, machinal, de l’évolution. Aujourd’hui sa conscience est éclairée et ses yeux sont ouverts. Or, si l’Angleterre, les yeux fermés et sans y croire, a pu faire tant et de si grandes choses, que ne fera pas une Angleterre qui voit, qui sait, qui croit et, — j’ajouterai, — une Angleterre qui veut ? Si l’on consulte les