Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manufacturière et commerçante ; elle n’est pas née puissance navale. Elle a été successivement amenée, disons obligée à acquérir tous ces organes de la vie nationale. L’exemple des autres nations qui l’avaient précédée dans ces différentes voies a influé sur elle. Le danger que lui a fait courir Philippe II en 1588, celui où l’a placée en 1650 la coalition de ses vaisseaux mutinés avec la flotte des Hollandais, l’ont contrainte, par deux fois, à se faire une marine.

La révocation de l’Edit de Nantes a été pour elle une victoire économique, en même temps qu’elle la replaçait à la tête de l’Europe protestante. Les fautes mêmes de ses gouvernans l’ont admirablement servie. C’est l’intolérance religieuse des Stuarts qui a peuplé la Nouvelle-Angleterre. Les 25 000 puritains qui ont quitté la mère patrie, de 1625 à 1642, ne songeaient pas à fonder une Greater Britain. Tout ce qu’ils voulaient, c’était de disposer la table de communion autrement que l’archevêque Laud ne l’entendait, et avec le droit de persécuter, à leur tour, ceux qui placeraient cette table autrement qu’eux. Je le demande encore, où est là dedans le génie colonisateur ?

Enfin, — ceci semblera paradoxal, — la petitesse de l’Angleterre fut la principale cause de sa grandeur. Voici comment. Lorsqu’elle devint trop peuplée pour rester, avec sa médiocre superficie, un pays de production, elle fut condamnée par une loi naturelle à se transformer en une nation industrielle. Alors, elle dut aller chercher au delà des océans les matières premières, la laine et le coton qui demandent de vastes espaces et réclament peu de travail. Pour aller chercher ces matières premières, il fallait une flotte marchande, et les mêmes besoins qui la firent manufacturière lui imposèrent le développement maritime auquel nous assistons.

Revenons à l’origine des colonies anglaises. Seeley comparait la colonisation moderne à la colonisation des anciens. Il voyait entre elles une opposition absolue. Ceux qui entendent ces questions n’iront pas, je crois, jusque-là. En examinant, sous ses formes diverses, la colonisation grecque et phénicienne, on y découvrirait la même diversité de mobiles que dans la colonisation espagnole, portugaise, hollandaise, française ou britannique : surcroît de population, exode en masse d’un parti vaincu, enlèvement brutal des richesses que contient un pays éloigné ou exploitation méthodique et permanente de ces mêmes richesses, esprit d’indépendance, de gain, de curiosité ou d’aventures. Mais