Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a un visage, elle agit et parle. C’est ainsi que Seeley s’est trouvé mal à l’aise, lorsqu’il est entré dans le détail des oscillations en quelque sorte quotidiennes de la vieille politique personnelle. Comment faire une histoire du XVIe siècle où les passions du XVIe siècle ne jouent aucun rôle ? On a beau nous dire que Marie Stuart représente la contre-réforme, le mouvement de renaissance catholique dont le concile de Trente est le point de départ et dont les jésuites sont les agens ; on a beau nous assurer que la virginité d’Elisabeth symbolise la politique insulaire, qui est la sauvegarde de l’Angleterre ; il n’en est pas moins vrai que ce sont deux femmes. Appelez le flirt d’Elisabeth entre le Habsbourg et le Valois « politique d’équilibre » : c’est toujours du flirt. Quelles sont les raisons de la « virginité » d’Elisabeth (le mot est de Seeley : pour moi, j’hésite à qualifier de ce beau nom un impur célibat) ? La crainte, si elle agréait un prétendant, de laisser le choix à sa rivale parmi les autres ; la peur de se donner un maître, la peur des couches et, enveloppant tout cela, une je ne sais quelle humeur indomptable et revêche. « Je veux faire comme mon père » ; ces mots qu’on lui-entendait répéter lui servaient de programme sur bien des points. N’est-ce pas là une politique personnelle ? D’ordinaire, la politique personnelle des rois, des ministres, des généraux, des maîtresses, contrecarre la politique nationale ; ici, elle la servit. Bien plus, les hésitations, les caprices, la cupidité de cette femme, qui commanditait les pirateries de Drake et de Hawkins, sauf à les désavouer, mais qui refusait des médicamens à ses marins blessés et marchandait de la poudre à ses canonniers, tout cela profita à la cause anglaise. Elisabeth avait un grand ministre, William Cecil, l’ancêtre de cette famille dont lord Salisbury est aujourd’hui le chef. Ce fut le premier des impérialistes, puisqu’il prépara l’union de l’Angleterre et de l’Ecosse. Il était l’intelligence d’Elisabeth, mais elle ne l’écouta qu’à demi et eut raison. Son indécision et sa lâcheté laissèrent venir le moment favorable pour faire la guerre que l’impatient génie de Cecil aurait devancée.

A la politique de vieille fille succède la politique de mariage, qui, à deux reprises, replace l’Angleterre à la remorque des puissances continentales. La vraie politique anglaise, qui est à la fois une politique d’isolement et d’expansion, découverte sous Elisabeth, perdue sous les Stuarts, est retrouvée deux fois, au XVIIe siècle, par Cromwell et par Guillaume III. Cromwell