Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
LE PEUPLE GREC.

des Grecs entre eux, des Grecs avec les pays voisins. Ne pouvant guère communiquer par les montagnes, les districts hellènes s’abordaient mutuellement par les côtes : chacun conservait son indépendance et sa physionomie propre, et cependant tous étaient en rapport perpétuel. C’était l’individualisme des cités joint à l’expansion et à la possibilité de l’association. Si la Grèce est née divisée, selon le mot de Joseph de Maistre, cela n’est vrai que du côté de la terre ; la mer a fait son unité, mais une unité toute morale et toute d’action, qui n’excluait pas des rivalités continuelles. Il en est résulté un développement merveilleux de la vie communale : l’État n’a pas étouffé les cités, le despotisme n’a pas arrêté l’essor individuel ; cet essor, à son tour, n’a pas livré sans défense la Grèce aux ennemis du dehors. Ainsi la nature a coopéré aux destinées des Grecs, mais la vraie cause première de ces destinées, c’était leur caractère et leurs aptitudes ethniques.

Incroyable est la quantité de dissertations relatives au climat de la Grèce, par lequel on voudrait expliquer l’étonnante supériorité du génie grec[1]. Le climat de la Grèce est aussi varié que ses formes : au nord, c’est le climat de l’Allemagne centrale ; descendez un peu, et vous trouvez le climat de la Lombardie, puis celui de Naples et de la Sicile. Des neiges de l’Olympe ou du Parnasse, vous passez à la région des palmiers. Inintelligence et l’activité du Grec sont perpétuellement exercées, sur mer, par les fatigues et par la vigilance toujours nécessaire ; sur terre, par la

  1. Déjà, selon Hippocrate, si les Asiatiques sont d’un naturel plus doux et moins belliqueux que les Européens, la cause en est surtout dans l’égalité des saisons : une perpétuelle uniformité entretient l’indolence ; un climat variable donne de l’exercice au corps et à l’âme. Aristote explique la supériorité de la Grèce par la situation intermédiaire qu’elle occupe entre les régions froides de l’Europe septentrionale et les contrées chaudes de l’Asie ; c’est ainsi, dit-il, que les Grecs « réunissent à l’énergie des Barbares du Nord la vivacité d’esprit des Asiatiques. » Sans nier la part de vérité que ces réflexions contiennent, il faut reconnaître que le climat est insuffisant pour expliquer le caractère grec. Comment croire que le ciel pur et transparent de l’Attique soit une raison sérieuse, sinon d’un certain goût de clarté et de lumière qui peut se retrouver aussi bien dans toutes les contrées méridionales ? Les côtes de Ligurie, de Nice à Gênes, sont découpées en sinuosités sans nombre, comme celles de la Grèce ; elles ont la même pureté de ciel, la même netteté de contours dans les montagnes et dans les rivages ; pourquoi les figures n’ont-ils pas été artistes ? Pourquoi a-t-il fallu que les Grecs vinssent à Nice et à Antibes comme à Marseille ? Les Grecs ont essaimé sur toutes les côtes de la Méditerranée et partout ils ont montré des qualités analogues ; ce qui prouve bien que ces qualités tenaient à la race plutôt qu’à la situation et au milieu. On a très justement comparé la Grèce antique à la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, du moins au point de vue du commerce maritime et de l’expansion coloniale ; et les qualités des Anglais, comme celles des Grecs, se retrouvent partout où ils vont.