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an II il était écroué à la Conciergerie. Il ne s’avoua pas vaincu et voulut payer d’audace : le moyen lui avait si souvent réussi ! Il réclama la faveur de comparaître, non pas devant le tribunal, mais, ainsi qu’un décret spécial de la Convention lui en laissait la faculté, devant le Comité de sûreté générale, pour y être contradictoirement entendu avec ses dénonciateurs, qu’il se proposait de « confondre » ; mais on ne lui répondit pas : les choses tournaient mal. Lalligand fut compris, comme un vulgaire honnête homme, dans la fournée du 19 messidor, — avec, entre autres, une vieille domestique de soixante-douze ans convaincue : « d’avoir abandonné les drapeaux de la liberté pour servir dans l’armée anglaise à Toulon », et exécuté le même jour à la place du Trône. Son corps retrouva dans la fosse commune de Picpus celui du jardinier Perrin qui l’y avait précédé depuis une décade.

Faut-il le dire ? La mort d’un si méprisable personnage était, à cette triste époque, une catastrophe pour bien des gens. En l’apprenant, le comte de Noyan se crut perdu ; de fait, il ne lui restait plus aucun protecteur et l’argent lui manquait pour s’en procurer de nouveaux. Mme de Sainte-Aulaire, exilée de Paris, comme tous les ci-devant nobles, par le décret du 27 germinal an II, s’était réfugiée dans une chambre louée à Vaugirard, près de la barrière : elle vivait là, sans ressources, manquant de pain, ne pouvant sortir faute de vêtemens.

La chute de Robespierre mit fin à cette situation : M. de Noyan quitta sa prison l’un des premiers ; les administrateurs du département comprirent qu’un homme, resté pendant seize mois sous le coup d’un acte d’accusation, sans que Fouquier-Tinville l’eût traduit en jugement, devait être tenu pour innocent : aucune pièce compromettante ne se trouva dans son dossier.

Le vieux gentilhomme, mis en liberté, loua un appartement rue Saint-Louis au Marais. Il l’habitait depuis quelques mois et causait un matin tranquillement dans son cabinet avec sa fille, quand on vint l’avertir qu’un homme âgé et de bonne mine demandait à le voir sans consentir à donner son nom. M. de Noyan ordonna qu’on le fît entrer. Le visiteur annonça « qu’il se nommait Lalligand-Morillon, qu’il venait réclamer le paiement d’une obligation de 15 000 francs souscrite au profit de son fils et qu’il avait recueillie dans la succession de celui-ci… » M. de Noyan ne s’attendait pas à une pareille sommation : il eut peine à l’entendre sans colère et ne se montra nullement disposé à y faire