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Les Bretons refusèrent unanimement le ministère des intrus, qui se retirèrent, et, tout aussitôt, commencèrent les préparatifs de l’exécution. On apporta aux malheureux un dernier repas ; quelques-uns mangèrent, assis sur les bancs qui garnissaient le pourtour de la salle ; d’autres se livrèrent tout de suite aux aides du bourreau : tous, assure-t-on, causaient à voix forte, ricanaient fiévreusement ; seule, Mme de la Fonchais, se recueillant, s’assit à la table du greffe et se mit à écrire. Les lignes que traça la noble femme étaient destinées à sa belle-sœur, Mme Dauzances de la Fonchais. Ce testament de mort terminé, elle adressa à ses sœurs, plus favorisées qu’elle, le touchant billet que voici :


Séchez vos pleurs, mes bonnes amies, ou, du moins, répandez-les sans amertume ; tous mes maux vont finir et je suis plus heureuse que vous. Je viens d’écrire à ma belle-sœur pour lui recommander mes enfans ; vous voudrez bien, je l’espère, devenir avec elle les mères de ces pauvres petits orphelins. Que ce titre précieux vous aide à supporter la vie ! Je vous quitte pour me rapprocher de la Divinité.

Recevez, mes bien chères sœurs, l’adieu le plus tendre et le plus affectueux ! Je voudrais m’occuper de vous plus longtemps, mais cette idée m’affaiblit et je veux conserver toutes mes forces.

Adieu, encore une fois ! et modérez votre douleur ; nous nous rejoindrons un jour ! Je vous embrasse de toute mon âme. Adieu, mes amies !


Lorsqu’elle eut fini d’écrire, dévorant ses larmes, elle tendit ses mains au bourreau ; ses compagnons étaient déjà liés ; chacun à son tour prenait place sur l’escabeau de la toilette ; les chevelures tombaient sur les dalles ; Thérèse de Moëlien, seule, s’opposât à ce que le bourreau lui coupât les cheveux et releva elle-même ses magnifiques nattes, découvrant sa nuque, puis, docilement, tous, une fois prêts, venaient se ranger sur la banquette, attendant le signal du départ ; autour d’eux allaient et venaient les valets du bourreau ; à la grille de bois qui séparait la salle de l’avant-greffe, se massaient des guichetiers, des porte-clefs, des agens de police et des sans-culottes amateurs venus pour jouir du spectacle : ces horribles préliminaires exigèrent plus de deux heures : d’ailleurs, on ne se pressait pas, Fouquier-Tinville ayant cru utile de réquisitionner « une force armée imposante », dans la crainte de quelque mouvement en faveur des Bretons.

Le bruit s’était répandu dans la ville de l’exécution imminente de douze conspirateurs ; pour la première fois, l’échafaud allait recevoir une aussi nombreuse fournée, et il semble bien que