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A cinq heures, les plaidoiries commencèrent et se poursuivirent jusque bien avant dans la nuit : elles prirent encore toute la journée du lendemain. De cette partie des débats, nous ne connaissons qu’un incident : Tronson du Coudray s’était chargé de défendre Mme de la Fonchais : la tâche était ardue, car, sur les comptes de l’association, le nom de la Fonchais était porté en regard d’une somme de 1 200 livres versée à la Caisse commune. L’avocat s’étonnait que Desilles eût inscrit sur une pièce si compromettante le nom de sa fille : à force de questionner sur ce point sa cliente, il la vit se troubler, la pressa, mit toute son éloquence à lui arracher la vérité et obtint enfin l’aveu que cet argent avait été remis à la jeune femme par une autre personne, avec mission de le faire parvenir à la Rouerie.

— Alors, madame, s’écria Tronson du Goudray, vous êtes sauvée ! Faites-moi connaître le nom de cette personne.

— Ah ! répondit Mme de la Fonchais, je ne serai point la dénonciatrice de celle qui a eu confiance en moi, quoi qu’il puisse advenir.

— Madame, songez à vos enfans.

— Celle-là aussi est mère, répliqua tristement la noble femme.

Et elle s’obstina dans son héroïque silence. Au cours de sa plaidoirie, l’avocat fit allusion à ce trait sublime d’abnégation : il chercha à attendrir les juges, à obtenir peut-être de la victime ce nom qui devait la sauver ; mais les magistrats furent insensibles. Mme de la Fonchais resta muette : bien longtemps après seulement, on apprit que celle pour qui elle s’était dévouée n’était autre que sa belle-sœur, Mme Dauzances de la Fonchais…

Les plaidoiries se terminèrent le 17 dans la matinée. Montané prononça le résumé des débats, puis rédigea les questions à poser au jury : il n’est pas superflu de faire remarquer que, sur la minute originale, figurent au nombre des accusés Ranconnet de Noyan et son confident Leroy ; seulement, en regard de leurs noms, aucune question n’est inscrite : ceux-là avaient payé, la justice se déclarait satisfaite.

Après une suspension d’audience de trois heures, les jurés entrèrent dans la salle de leurs délibérations : les accusés furent réintégrés à la Conciergerie où la nuit entière se passa dans l’angoisse de l’attente ; le tribunal resta en séance, dans la salle vide qu’éclairaient des lampes ; les curieux en nombre toujours