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passage, hébergé par charité, et dont on avait fait disparaître le corps uniquement afin d’éviter les formalités d’usage et les déclarations obligatoires.

Pendant plus de trente heures, les interrogatoires se succédèrent presque sans incident. Nous devons noter cependant celui de Mme de Virel qui, questionnée sur les personnes présentes à la Fosse-Ingant lors de l’évasion de Desilles, répondit très naturellement :

— Il y avait là, entre autres, un médecin de Paris, M. Chévetel, que mon père aimait beaucoup.

— Où demeure-t-il ? interrogea Montané.

— Actuellement rue de Tournon, n° 6.

Mais il était entendu que le nom du traître ne serait pas prononcé : Montané n’insista pas et, le soir, sur les notes sténographiques destinées au Bulletin, ce nom fut supprimé ; même, pour mieux dérouter les soupçons possibles, on imprima : un médecin de Paris, M. de *** ; preuve que la rédaction du Bulletin était étroitement surveillée.

Mlle de Moëlien se défendit énergiquement : elle ne nia pas ses relations avec son cousin, assura que les épaulettes et autres insignes militaires trouvés chez elle provenaient du major Chafner, dont elle avait désiré conserver ce souvenir en raison de leur étroite amitié. Montané en revenait sans cesse à la déposition écrite de Boujard, ce domestique de la Rouerie dont nous avons résumé les délations ; mais Thérèse lui fit observer que cet homme était un ivrogne qui, pendant son très court séjour au château, n’avait cessé de s’enivrer aux dépens de la cave du marquis. Le président insistant sur ce que Boujard avait affirmé que la Rouerie projetait de détruire Antrain et Pontorson après en avoir passé tous les habitans au fil de l’épée :

— Mais, citoyen, objecta la jeune fille, si mon cousin avait été l’homme que vous dites, croyez-vous qu’il aurait compté de si nombreux amis et de si chauds partisans ?

Montané vit qu’il s’enferrait et il tourna court. Mais une nouvelle question adressée à Mlle de Moëlien faillit mettre les rieurs du côté des accusés. Il s’agissait d’une liste des conjurés et de la somme de 1 000 louis en or qu’elle avait fait disparaître, disait-on, au moment de son arrestation. Lalligand n’avait pu se consoler de la perte d’une si belle prise, et il en avait parlé, trop peut-être, à Billaud-Varennes qui, appelé comme témoin et interrogé à ce sujet, répondit malicieusement :