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présentait des éventualités menaçantes : — « Il se tenait pour trop payé, disait-il, par le plaisir de rendre service ; mais ses amis étaient plus exigeans que lui et, malheureusement, ils étaient plus puissans. »

Mme de Sainte-Aulaire ne pouvait se tromper sur le sens et la portée de ce langage ; elle le rapportait à son père, qui, déjà fort dérangé dans ses affaires, eût bien voulu ménager ses dernières ressources, 100 000 francs n’étaient pas alors faciles à trouver ; Mme de Sainte-Aulaire ne pouvait fournir que 40 000 francs qu’elle avait reçus du comte de Chapt, son cousin germain ; pour le reste de la somme, que M. de Noyan se résigna enfin à payer, il offrit 30 000 francs en numéraire et une malle d’argenterie d’égale valeur.

Ces conditions ayant été acceptées par Lalligand, le jour était pris pour conclure, quand une condition nouvelle, imposée par M. de Noyan, pensa rompre le marché. Il voulut que M. de Montrocher, ancien ami de sa famille, fût présenta la remise des pièces et qu’il ne livrât l’argent qu’après les avoir examinées. La précaution n’était pas déraisonnable ; la pauvre Mme de Sainte-Aulaire, seule dans cette caverne, offrait aux brigands une proie trop facile. Ils pouvaient prendre son argent et lui donner en échange quelques papiers insignifians, réservant les pièces importantes pour les lui vendre une seconde fois. Montrocher était un homme de sang-froid et de courage : il ne lâcherait les fonds qu’à bonne enseigne. Lalligand le connaissait bien ; aussi se montra-t-il très blessé de cette précaution dont il comprit le motif. Il s’en plaignit amèrement à Mme de Sainte-Aulaire, qui ne put répondre que par des larmes et en alléguant la volonté de son père qu’on savait bien être inflexible. Lalligand se laissa toucher et promit que les membres du Comité de sûreté générale ne seraient point informés de l’intervention de Montrocher. Comme Mme de Sainte-Aulaire le quittait, toute rassurée, il la rappela pour lui demander si elle n’avait pas quelques pots-de-vin à joindre à la somme principale.

— Je crois vous avoir vu porter, ajouta-t-il, une assez jolie montre garnie de brillans. Le cadeau de cette bagatelle pourrait être d’un bon effet.

La malheureuse promit, sans marchander, d’ajouter sa montre aux valeurs qui furent livrées le lendemain, et les pièces accusatrices furent remises aux mains de Montrocher, qui les examina avec un soin minutieux avant de les jeter au feu.