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démonstration est devenue beaucoup plus facile depuis que six bâtimens de l’escadre de l’amiral Sampson, chargée d’assurer le blocus de Cuba, sont rentrés à Key-West, pour y renouveler leur provision de charbon et sont ensuite partis pour une destination nouvelle. Les télégrammes du 13 mai nous ont bientôt appris que trois de ces bâtimens, le cuirassé Iowa, le cuirassé Indiana, le croiseur New-York avaient pris une part active au bombardement de San Juan de Puerto-Rico. Or il est avéré que, si l’escadre de blocus s’éloigne volontairement, même pour un temps, le blocus ne lie plus les neutres. « Tout blocus levé ou interrompu, disent les instructions complémentaires françaises de 1870, doit être rétabli et notifié de nouveau dans les formes prescrites. » Telle est d’ailleurs l’opinion de James Kent, le plus illustre des jurisconsultes anglo-américains, le grand professeur de Columbia-College, chief-justice à New-York de 1804 à 1814, chancelier de l’État de New-York jusqu’en 1823[1]. S’il est vrai, comme les télégrammes du 16 mai nous l’apprennent, que deux navires espagnols, le Conde de Venadito et la Nueva España, ayant fait une sortie, quatre navires bloquans aient dû s’éloigner pour remorquer un cinquième navire avarié, le blocus serait devenu de moins en moins effectif.

Sir Richard Webster eut à s’expliquer devant la Chambre des communes, le 22 avril 1898, sur la légitimité du blocus qu’on pratiquerait au moyen de mines sous-marines : « Ce serait, répondit-il, une innovation. » Nous ajoutons que cette innovation serait contraire aux principes du droit international. Il n’est pas un jurisconsulte qui ne se rappelle le grave incident suscité par les États-Unis en 1861. Pour remédier à l’insuffisance de leurs forces navales, ils inaugurèrent un nouveau mode de blocus en coulant des navires chargés de pierres à l’entrée du port de Charleston. Ce « blocus par pierres » motiva sur-le-champ deux protestations : celle de l’association des armateurs de Liverpool, celle du cabinet britannique (13 et 16 janvier 1862). A vrai dire, ce qui frappait surtout lord Lyons, c’est que l’obstruction du port ainsi comblé pouvait causer un dommage permanent, irréparable, en conséquence paralyser après la

  1. Commentary of international law, Cambridge, 1866, p. 366. L’Institut de droit international a dit aussi, dans son Règlement international des prises (art. 38) : « Si les navires bloquans s’éloignent de leur station pour un motif autre que le mauvais temps constaté, le blocus sera considéré comme levé ; il doit alors être de nouveau déclaré et notifié. »