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organisation même, à la marine militaire proprement dite, ou elle n’en fait point partie. Dans le premier cas, elle a toutes les prérogatives de cette marine et peut être employée non seulement au transport des troupes, au ravitaillement des croisières, mais encore à la capture des navires marchands ennemis, de la propriété privée ennemie. Il n’en serait autrement que si le gouvernement, pouvant rédiger à sa guise ses lettres de marque ou ses commissions, en avait restreint la portée.

Nous préjugeons par là même la solution d’une question posée à plusieurs reprises depuis qu’ont éclaté les hostilités entre l’Espagne et les États-Unis : les corsaires peuvent-ils pratiquer le droit de visite à l’effet de chercher et de saisir la contrebande de guerre sur les bâtimens neutres ? C’est à ce sujet, selon toute vraisemblance, que le député Julien Lukats, demanda dans la première semaine de mai, à Budapest, si le gouvernement de François-Joseph avait pris des mesures pour que les bâtimens battant pavillon austro-hongrois ne fussent pas troublés dans leurs voyages par des navires armés en course.

Au cours de la discussion qui s’éleva sur la déclaration de Paris, en 1860, dans l’Académie des sciences morales, le professeur Giraud, tout en plaidant pour les corsaires, avait reconnu qu’il faudrait leur enlever la police des neutres, « parce qu’ils sont trop intéressés à trouver un ennemi sous le pavillon neutre ». D’accord ; mais comment la leur enlever, tout au moins s’ils ont reçu des lettres de marque pures et simples, si leur commission n’est pas limitée par des instructions ou par un traité, comme le traité anglo-russe du 5/17 juin 1801[1] ? Même alors, on ne les empêchera pas facilement d’arrêter et de visiter en pleine mer un navire, neutre en apparence, suspect à leurs yeux, ne fût-ce que pour vérifier sa neutralité. C’est pourquoi les instructions généralement adressées aux corsaires anglais avant la déclaration de Paris ne limitaient pas leur droit de visiter les bâtimens neutres et d’y saisir la contrebande. M. Perels, directeur au ministère de la marine, à Berlin, enseigne aussi que ce droit appartient aux corsaires « pour autant qu’il en existe encore ». « Les corsaires, dit à son tour le professeur français Despagnet[2], peuvent procéder

  1. « Le droit de visiter les navires marchands appartenant aux sujets de l’une des puissances contractantes et naviguant sous le convoi d’un vaisseau de guerre de ladite puissance, ne sera exercé que par les vaisseaux de guerre de la partie belligérante et ne s’étendra jamais aux armateurs, corsaires… »
  2. Cours de droit international public, p. 697.