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L’Allemagne ne s’arrêta pas d’ailleurs à mi-chemin. En 1871, sa « marine auxiliaire » n’avait existé que sur le papier. Par sa loi du 13 juin 1873, elle enjoignit aux possesseurs de navires de se mettre à la disposition de l’administration militaire, sur réquisition, pour les besoins de la guerre. Elle prit, à partir de 1881, des mesures pour transformer en croiseurs les vapeurs transatlantiques naviguant sous son pavillon. L’amirauté britannique avait déjà, depuis plusieurs années, averti les armateurs des conditions auxquelles elle subordonnait l’achat des steamers par l’Etat et leur transformation en vaisseaux de guerre ; en 1880, sir Astley Coo-per Key déclarait publiquement, au nom du gouvernement, que tout était prêt dans les arsenaux pour armer immédiatement en guerre, à la première occasion, trente ou quarante navires à vapeur du commerce. Les Etats-Unis, bien entendu, ne s’étaient pas laissé devancer. La loi fédérale de 1872 accordait aux navires à vapeur en fer d’au moins mille tonneaux une énorme prime à la construction (10 dollars par an pendant cinq ans, soit 250 francs par tonneau), mais seulement si les bâtimens avaient certaines formes et s’ils étaient construits sur un type qui permît, en cas de guerre, de les transformer en navires de combat. On a beaucoup légiféré sur cet objet. C’est ainsi qu’une autre loi (10 mai 1892) permit d’enregistrer comme navires américains des bâtimens construits à l’étranger, réunissant certaines conditions, appartenant à des citoyens américains ou à des sociétés américaines : ces bâtimens devaient pouvoir être employés par le gouvernement des États-Unis, en temps de guerre, comme croiseurs ou transports, moyennant une indemnité. On s’assurait par-là même en temps de guerre, fit-on remarquer au Congrès, la possession d’admirables croiseurs, tels que les paquebots de la compagnie Cunard et d’autres paquebots faisant alors le service entre Anvers et New-York.

L’émulation fut générale. Immédiatement après la guerre turco-russe de 1877, alors que la Grande-Bretagne ne voulait pas reconnaître le traité de San Stefano, la Russie entreprit de lever une sorte de flotte volontaire, et dépêcha des capitaines commissionnés en Amérique pour y acheter des croiseurs. Une souscription nationale fut ouverte : elle atteignait dès le mois de septembre 1878 trois millions de roubles. Le Journal de Saint-Pétersbourg publia diverses annonces de constructeurs allemands qui offraient des vaisseaux de guerre aux Russes assez riches pour les acheter. Un important avis du Conseil de l’Empire, approuvé