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quelquefois dans les émeutes populaires, par le sentiment qu’elle avait en face d’elle des compatriotes et des frères. Elle a obéi strictement à ses chefs, et a rempli tout son devoir sans le dépasser : on ne signale en effet de sa part, aucun de ces excès qui se produisent trop souvent dans les momens d’effervescence générale et d’entraînement. A Monza, tout près de Milan, des démonstrations ont été faites en vue d’empêcher le départ des réservistes appelés sous les drapeaux : elles ont été immédiatement réprimées par la troupe. Tout porte à espérer, sans qu’il soit pourtant permis de l’assurer, que le calme sera rétabli dans quelques jours. La crise prendra fin. Il en restera seulement le souvenir du sang versé, et il est à craindre, d’après l’expérience du passé, que ce souvenir ne soit exploité contre le gouvernement. La responsabilité des événemens ne revient pourtant ni à M. di Rudini ni à ses collègues. Si l’Italie, un des pays du monde les plus richement dotés par la nature, est pauvre aujourd’hui, pauvre jusqu’à la misère, jusqu’au désespoir, la faute en revient aux gouvernemens antérieurs. On a surmené ce pays pour en obtenir plus qu’il ne pouvait donner. On l’a condamné à des expéditions lointaines en Afrique. On lui a imposé en Europe, et on lui impose encore une politique à la fois stérile et onéreuse, qui ne donne même plus de satisfactions à son amour-propre. Tout cela coûte cher, et le poids des impôts s’alourdit d’une manière écrasante sur la tête des moindres citoyens. Ce sont les plus humbles, les plus petits, qui souffrent davantage, et ce sont ceux-là qui se révoltent au risque de mourir, lorsque la mesure est comble. Telle a été certainement l’origine de la crise. Que des préoccupations politiques s’y soient bientôt mêlées, c’est possible et même probable ; mais la cause première en est là.


Quant à l’Espagne, les incidens qui s’y sont produits à l’occasion de la cherté du pain, quoique graves en eux-mêmes, disparaissent dans la gravité supérieure de la situation générale. On s’était habitué en Europe à l’idée que les premiers coups de la guerre seraient portés dans la région des Antilles, puisque c’est Cuba qui avait provoqué le conflit. On annonce toujours, de ce côté, un débarquement de troupes américaines, ou la rencontre inévitable de la flotte des États-Unis et de celle de l’Espagne ; mais c’est en vain que les lorgnettes politiques sondent tous les coins de l’horizon ; on ne voit encore rien venir. En revanche, le canon a fait entendre ses premiers éclats aux îles Philippines, et c’est dans la rade de Manille, à Cavité, que l’escadre de l’amiral Montojo s’est brusquement trouvée aux prises avec celle du commodore Dewey. Tout de suite, la supériorité de la seconde sur la première s’est