Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en a en Russie, et quand il n’y en a pas en Russie, il y en a en Amérique. Jamais, grâce à Dieu ! le fléau ne frappe en même temps sur toute la surface du globe. On avait déjà, à plus d’une reprise, demandé au gouvernement sinon de supprimer, au moins de diminuer les droits sur les blés : il s’y était refusé en assurant que les crises qu’on lui signalait étaient passagères, et l’événement avait jusqu’ici justifié ses prévisions. Cette fois, il n’en a pas été de même. Le péril a été imminent et évident. La guerre, en menaçant les communications entre le nouveau et le vieux continent, mettait ce dernier à la merci de la disette. Les réserves en blé n’étaient pas suffisantes pour attendre la récolte prochaine. Les droits ont donc été suspendus dans leur intégrante, jusqu’au 1er juillet prochain. Le mal a pu être arrêté chez nous le jour même où il est né. Il n’en a pas été de même partout : en Italie et en Espagne, l’agitation a pris tout de suite un caractère alarmant.

En Espagne, on le comprend à la rigueur. Ce malheureux pays subit en ce moment toutes les épreuves, et son imagination en est troublée profondément. Il est plus difficile de se rendre compte de ce qui se passe en Italie, d’autant plus que, là comme chez nous, des mesures ont été aussitôt prises pour conjurer les premiers dangers. Incontestablement, la politique s’est mêlée à l’affaire ; car si l’on peut expliquer par le manque de pain les soulèvemens qui se sont produits dans le sud de la péninsule et en Sicile, il faut chercher d’autres causes à ceux qui ont eu lieu par exemple dans la Lombardie, et qui l’ont ensanglantée.

Nous ne parlons que sur des données incomplètes. Les communications avec l’Italie sont devenues difficiles. Sur plusieurs points, la marche des trains est arrêtée. Les télégrammes qui traversent la frontière sont soigneusement expurgés par l’administration. On ne sait, en somme, qu’une partie de la vérité ; mais ce qu’on en sait est de nature à inspirer de vives inquiétudes. La ville qui paraît avoir été le plus éprouvée par l’émeute d’abord, et ensuite par sa répression, est Milan, la capitale de la Lombardie, et l’une des cités les plus opulentes de la péninsule. L’état de siège y règne aujourd’hui. Des journaux ont été suspendus. Les directeurs de quelques-uns d’entre eux ont été arrêtés. Milan a été sous la terreur pendant quelques heures, et il y avait de bonnes raisons pour cela, car des maisons particulières avaient été pillées, des barricades s’élevaient dans les rues, et de part et d’autre, du côté des insurgés et de celui de l’armée, il y avait des morts et des blessés. L’armée s’est montrée au niveau de sa tâche. Elle ne s’est pas laissé ébranler, comme cela se produit