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englobe tous les revenus dans une même masse, et les traite de la même manière, c’est-à-dire qu’il les frappe d’un impôt uniforme. On a fait remarquer tout de suite combien il était injuste, et même inique, de mettre sur le même pied les revenus du capital et les revenus du travail. La conscience humaine protestait contre cette égalité, qui constituait au fond la plus monstrueuse des inégalités. Soit ! disent aujourd’hui les radicaux : on distinguera entre les revenus du capital et les revenus, du travail. Rien n’est plus facile à coup sûr dans notre système fiscal actuel, qui distingue les revenus les uns des autres et les soumet à un sort différent ; mais il n’en est pas de même dans celui de M. Doumer. Si on distingue les revenus suivant leur nature, il faut renoncer à en faire un seul bloc ; et si on renonce à en faire un seul bloc, il faut renoncer à l’impôt global. Mais les radicaux ne s’embarrassent pas beaucoup de ces contradictions. Ils continuent de parler d’impôt global, tout en consentant à établir des différences de traitement entre les divers revenus. Ils vont plus loin. L’impôt sur l’ensemble du revenu avait ce caractère indélébile qu’il ne pouvait être perçu que sur la déclaration du contribuable, déclaration qu’il fallait absolument contrôler. La déclaration reconnue plus ou moins fondée, et finalement la taxation administrative, étaient les conditions mêmes du système, et M. Doumer le reconnaissait avec la plus grande franchise. Il savait ce dont il parlait, et comme il était, en somme, le père de l’impôt sur le revenu, il connaissait son enfant ; mais il a eu le tort de l’abandonner à des mains étrangères, et bientôt l’enfant est devenu méconnaissable. M. Bourgeois, dans un récent discours, a déclaré admettre que l’impôt sur le revenu fût établi sur les signes extérieurs de la richesse, par conséquent qu’il devînt un impôt comme les autres, ou du moins comme ceux qui avaient été proposés autrefois par M. Burdeau et par M. Ribot, et plus récemment encore par M. Cochery. Ces affirmations successives de M. Bourgeois sont faites pour dérouter. Après les avoir entendues, on ne sait plus très bien où on en est. On éprouve le besoin de faire un nouvel inventaire des opinions radicales. Si M. Bourgeois abandonne la progression, il ne restera plus rien de l’impôt de M. Doumer. Il est vrai que M. Cavaignac est là, qui veille. Et, en fin de compte, peut-être M. Bourgeois n’a-t-il tenu le langage auquel nous faisons allusion que parce qu’il en avait besoin pour être réélu dans le département de la Marne. M. Paul Deschanel, dans un éloquent et spirituel discours qu’il a prononcé à Lyon, a raillé agréablement l’esprit nouveau qui souffle sur le parti radical. Il a rappelé la grande scène lyrique où don Juan a déjà la main pétrifiée dans celle du spectre et est sur le point d’être