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nécessaire, et s’élever au-dessus des préoccupations de l’actualité ? Le voici du moins qui nous offre, en danois, en allemand et en anglais, un énorme ouvrage sur Shakspeare, mille pages d’un texte serré, et avec le moins de citations possible. C’est bien, cette fois, une œuvre personnelle, impartiale, savante, une œuvre d’historien et de critique ; et l’on comprend que, d’un bout à l’autre de l’Europe, les amis de l’auteur en aient salué la publication comme un événement littéraire d’une extrême importance. Ils y ont vu, sans doute, ce que je ne puis moi-même m’empêcher d’y voir : un effort de l’éminent écrivain danois pour se justifier du reproche d’être un homme de parti, et pour reprendre son rang parmi les lettrés.

Que si maintenant on aborde la lecture de son ouvrage, la première impression n’est pas des plus heureuses. Quatre-vingt-cinq chapitres d’égale longueur se succédant sans autre lien que celui de l’ordre chronologique ; toutes les pièces de Shakspeare étudiées une à une, et suivant des procédés à peu près invariables ; nulle trace d’une composition un peu artistique, ordonnant les détails au point de vue de l’ensemble ; l’intérêt du sujet morcelé en autant de parties qu’il y a de chapitres ; en un mot, quelque chose qui ressemble moins à une étude sur Shakspeare qu’à une encyclopédie, pour ne pas dire à un recueil de Skakspeariana : voilà ce que ne peut manquer d’apparaître, d’abord, le nouvel ouvrage de M. Brandes. Qu’on imagine M. Paul Mesnard, ou feu M. de Montaiglon, réunissant bout à bout, pour en faire un volume, les notices qu’ils ont mises en tête des diverses pièces de Molière ! Voici un chapitre sur Richard III, un autre sur le Roi Jean, un autre sur la Mégère mise à la raison, un autre sur le Marchand de Venise, un autre sur Henri IV. Et la série se poursuit ainsi, depuis Titus Andronicus jusqu’à la Tempête. Il y a bien de place en place des façons d’intermèdes, où M. Brandes, abandonnant Shakspeare, nous raconte la vie d’Elisabeth, les procès de Southampton et d’Essex, les embarras d’argent de Jacques Ier, les aventures galantes d’Arabella Stuart. Mais ces intermèdes, eux aussi, sont traités en forme de notices, voire de notes séparées. L’auteur nous en dit, tout au long, ce qu’il a à nous en dire, nous laissant le soin d’en dégager, nous-mêmes, ce qui se rapporte plus particulièrement à l’œuvre et à la vie du poète anglais. Et dès les chapitres suivans il reprend son analyse des pièces, sans en omettre ni en négliger une seule, sans essayer, par exemple, de réunir dans un même jugement deux drames historiques ou deux comédies. Une telle méthode risquerait déjà de nous paraître monotone dans un ouvrage sur Racine, où l’on a cependant