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patience ! Adieu, je meurs de sommeil et je vais prendre un peu de repos en attendant Chévetel.

LALLIGAND-MORILLON.

Il n’y a rien à reprocher à Chévetel, il a bien été.


Chévetel devait aller mieux encore ; à l’heure dite, il était chez Lalligand et lui donnait ses dernières instructions : il s’agissait de ne pas laisser échapper un seul des hôtes chez lesquels il vivait et qui, depuis six mois, lui témoignaient une absolue confiance ; toutes ses mesures étant bien prises, il retourna en hâte à la Fosse-Ingant.

Ce château, vaste construction entourée de dépendances importantes et de jardins étendus, est situé à huit kilomètres de Saint-Malo, sur le territoire de Saint-Coulomb : un court chemin ombragé, se détachant de la route de Cancale, conduit en quelques pas à une porte charretière, posée de biais et encadrée de vieux arbres ; cette porte franchie, on est dans un jardin qui sépare le château du grand chemin. De ce côté, la maison présente deux forts pavillons carrés, formant avant-corps, réunis par des constructions moins hautes ; l’autre façade est plus régulière et donne aujourd’hui sur un beau parc anglais, remplaçant les parterres de légumes et de fleurs qui s’y trouvaient autrefois.

La Fosse-Ingant, où notre récit nous a déjà plusieurs fois amené, était habitée, à l’époque de la Révolution, par M. et Mme Desilles de Cambernon, dont le fils, nous l’avons rappelé, avait glorieusement perdu la vie en s’efforçant d’apaiser la rébellion des troupes de Nancy, en août 1790. Ce malheur avait troublé les facultés mentales déjà affaiblies de Mme Desilles ; près d’elle s’étaient réfugiées, depuis deux ans, ses trois filles : Jeanne-Julie-Michèle, veuve de M. de Virel ; Marie-Thérèse d’Allerac ; et Angélique-Françoise Roland de la Fonchais ; MM. d’Allerac et Roland de la Fonchais avaient émigré depuis quelques mois. A la fin de lévrier, M. Picot de Limoëlan, frère de Mme Desilles, était venu, laissant ses filles à son château de Sévignac, passer quelques jours chez son beau-frère, afin de discuter avec lui les obligations qu’imposait aux chefs de la conjuration bretonne la mort du marquis de la Rouerie. Au milieu de cette famille unie et sans méfiance, vivait Chévetel, que son dévouement apparent et ses continuelles protestations d’amitié avaient rendu le conseiller écouté, le confident obligé de tous les projets.