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Et, se tournant vers Lalligand, tout glorieux de son coup de théâtre, il ajouta :

— Vous, monsieur, vous êtes un lâche, et votre action est monstrueuse.

Il fut interrompu par les huées des soldats, les sanglots des jeunes filles se pressant autour de leur mère, et par le tumulte qui suivit cette horrible scène… La tête du marquis, jetée dans le jardin, y fut ramassée par les gardes nationaux : un d’eux la planta au bout de sa baïonnette et, avec des rires et des chants, la troupe joyeuse suivit l’épouvantable trophée promené dans les avenues et les cours du château, tandis que Lalligand faisait subir à M. et à Mme de la Guyomarais un dernier interrogatoire : le père de famille consentit à répondre, espérant assumer sur lui la responsabilité tout entière : mais l’espion n’était pas homme à lâcher sa proie : le lendemain, 27 février, le château fut mis au pillage, sous prétexte de perquisition ; dans le double fond d’une armoire, on découvrit les effets et la valise vide du marquis de la Rouerie, « trois fusils armés et amorcés, prêts à faire feu », des cartouches, des balles, des munitions de toute sorte, et, ce qui plaisait plus encore à Lalligand, de l’argenterie et des assignats dont il s’empara, les croyant faux, « pour les faire vérifier », disait-il. Le linge, les hardes, certains meubles même, furent chargés sur un chariot, et, le 28, vers six heures du soir, toute la troupe reprit le chemin de Lamballe, emmenant ses prisonniers. Mme de la Guyomarais avait obtenu la faveur d’aller en charrette ; son mari, ses fils, Thébault de la Chauvinais, le valet de chambre David et Perrin, le dénonciateur, suivaient à pied, enchaînés l’un à l’autre. Lalligand, Burthe et les commissaires les accompagnaient triomphalement dans les voitures qu’ils avaient tirées des remises. On arriva dans la nuit à Lamballe et tous les prévenus furent écroués à la Grand’Maison.

Agathe et Hyacinthe de la Guyomarais, terrifiées et folles de douleur, restaient seules dans le château vide.

Il est demeuré debout, ce pittoresque manoir, intact derrière sa ceinture de douves profondes et de robustes tilleuls, et comme tout effrayé encore, après plus de cent ans, des scènes qu’ont vues ses vieilles pierres. Au bout de l’avenue, s’ouvre la cour, large et légèrement déclive ; à droite le donjon surmontant l’écurie aux râteliers rongés par le temps et polis par le frottement des longes ; en face, l’aile basse où, dans des lits bretons, élevés et clos comme