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Lalligand quitta Saint-Servan le lendemain, 24 février ; le soir même il arrivait à Lamballe : son inséparable Burthe l’accompagnait. Il se rendit à la municipalité, exhiba ses pouvoirs, requit l’assistance de la force armée, composa sa troupe de toute la brigade de gendarmerie et d’un détachement de la garde nationale, en prit le commandement, et, escorté d’un guide, se dirigea en pleine nuit vers le château de la Guyomarais. Il y arriva au petit jour. La cour, la ferme, les avenues furent en un instant envahies par les soldats. Lalligand, plein de son importance et parlant en maître, vint frapper à la porte du vestibule, sommant d’ouvrir au nom de la loi. Tous les habitans, réveillés en sursaut, couraient par la maison, s’appelant, effarés ; mais l’espion eut vite mis un terme à ce désordre : à chaque porte intérieure, devant chaque fenêtre du rez-de-chaussée, il posta un de ses hommes en sentinelle, fit occuper par un peloton le potager, en plaça un autre dans le petit bois et défendit qu’on laissât les habitans du château « communiquer entre eux autrement qu’à vue ».

La matinée se passa à reconnaître les gens et les lieux : l’espion cria bien haut qu’il lui fallait le citoyen la Rouerie, mort ou vif, demanda à chacun son nom, parcourut la maison, les écuries, la ferme et les alentours. Il ne tira, du reste, de cette rapide enquête, aucun renseignement : maîtres et serviteurs semblaient absolument de bonne foi et assuraient n’avoir jamais eu connaissance de l’existence du proscrit. Lalligand ne se troubla point : il n’en était qu’au prélude de ses opérations : dès la nuit, il avait expédié sur les routes des estafettes chargées de lui amener le juge de paix du canton de Plédéliac, le médecin Taburet et le chirurgien Morel : il attendait ce renfort avant d’instrumenter.

A une heure de l’après-midi, arrivait le juge de paix, accompagné de Taburet que les gendarmes avaient enlevé de la chambre d’une malade à Saint-Denoual. Ce juge s’appelait Petitbon ; il se piquait de littérature, citait volontiers des petits vers et était certainement d’un caractère jovial, car, bien que les circonstances y prêtassent peu, il trouva l’occasion de placer quelques plaisanteries. Il se mit, pour Lalligand, en frais d’amabilité ; lui trouva « un air martial, une figure distinguée, une activité peu commune ». Petitbon était en si heureuse disposition que même la nullité de Burthe le séduisit : « L’adjoint, écrivait-il, parle peu, observe beaucoup, et cache, je crois, de la finesse et de la