Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne possède pas le complexe savoir qu’exigent les besoins modernes, et l’ingénieur nuisible et faux s’il est isolé de l’artiste, passeront toutes les laideurs vaniteuses d’une société affolée, dont tous les goûts vont à un amour étrange et dégénéré de l’énorme, du bizarre et de l’exotique, et qui s’est fait un style à sa taille, le style Exposition comme on l’appellera un jour — d’Exposition universelle et d’universelle médiocrité — brillante et extraordinaire décadence avec ces trois justes qualificatifs : colossal, camelote, et provisoire.

Eh bien ! non, ce n’est pas là de l’architecture, ce n’est pas de l’art ! — je veux espérer qu’il y a encore ou qu’il y aura demain en ce pays de mesure, de goût et de probité intellectuelle qu’est la France, des chances d’architecturale beauté. Mais elle sera française ou ne sera pas, c’est-à-dire fondée sur une éducation plus consciente du génie de notre race, sur une tradition nationale reprise avec courage, même avec audace, presque avec colère ! Car nous n’avons de chance aujourd’hui d’un art rationnel et bon, — en architecture comme en poésie, en sculpture comme en musique, — qu’en restant des Latins, ou plus simplement on redevenant des Français, des classiques ayant précisé, à travers quatre siècles de logique et surtout humaine culture, notre figure intellectuelle et notre architecturale raison d’être. Un des plus célèbres aujourd’hui parmi les plus jeunes architectes me dit que la prochaine génération, sortie des ateliers, sera franchement décidée en ce sens, plus respectueuse à la fois et plus pratique, et résolue à aller de l’avant sous une discipline reprise aux XVIe et XVIIe siècles français. Il en donne lui-même, à cette heure, un formel exemple[1] en dessinant ses murs pour ainsi dire sur les murs mêmes, en vivant dans son chantier comme aux belles époques, en travaillant sur le tas, comme disent les maçons. Et je le veux croire sur parole. Mais encore, — qu’il me laisse le lui dire, — ce retour plus large et plus libre, qu’il espère, à la saine continuité de l’esprit national ne s’expliquera en de significatives constructions que s’il est l’expression logique, de nouveau transformée en beauté, des besoins précis du temps et des vagues désirs du peuple — toujours la maison nécessaire des idées, devinée par un poète, réalisée par un artiste.

Prenez donc garde, dirai-je à tous ceux qui aiment encore à

  1. A la nouvelle Sorbonne.