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Salomon ! » Il ne voyait pas la décadence qui montait autour de lui ; il ne savait pas que sous ses yeux à ce moment même s’accomplissaient la mort d’un art et la naissance d’un autre, et que la suprême expression, en architecturale beauté, de l’idéal nouveau était promise à l’Occident rêveur, passionné et sincère. Saint-Vital[1] de Ravenne, comme Saint-Marc de Venise, sont les transplantations, en Italie, de l’asiatique Sainte-Sophie, témoins isolés, mais combien précieux, de la timide rentrée de l’Empire sur son ancien sol. Par cette fissure cependant passera toute l’essence du parfum chrétien, exhalé des encensoirs de Byzance ; l’art roman sortira un jour de ces voûtes d’or, et de ce lourd appareil. En attendant, la vraie nouveauté, du moins pour l’Occident, c’est la coupole, posée si fièrement sur les arcs puissans quelle semble, à l’audacieux architecte, l’image de la céleste voûte. « Alors, a-t-on dit très justement, on voyait partout des arcs sur des arcs, des coupoles sur des coupoles ; toutes les surfaces rectilignes, carrées, angulaires, des temples d’Athènes se changèrent, dans les églises de Constantinople, en surfaces circulaires, curvilignes, concaves à l’intérieur, convexes à l’extérieur. » De même, on renonça presque complètement à l’ordonnance consacrée des ordres antiques ; le chapiteau, de circulaire qu’il était, devint cubique ; la fine et précise feuille d’acanthe du corinthien fut remplacée par d’aventureux feuillages, aigus, enlacés, sans ordre, et les faces des moulures rehaussées d’entrelacs, de méandres et de losanges, imités des émaux d’Assyrie ou des étoffes persanes. La pureté attique est définitivement étouffée sous la parasite forêt des plantes, des fleurs et des croyances d’Orient.

Les peuples changent ; les monumens s’écroulent ; mais toujours, pour exprimer des besoins nouveaux, arrive l’être attendu — pour loger l’idée renouvelée, l’architecte nécessaire. — Et ainsi toujours l’architecture d’un peuple, au moins autant que les autres arts, aura à sa base la sensation d’un être devinant une forme et se l’appropriant, la volonté d’un artiste dégageant d’une loi secrète entrevue un principe de construction ou d’ornement.

  1. A Ravenne, où vivaient les exarques ou gouverneurs de l’Italie pour les empereurs d’Orient, c’est Julien, trésorier de l’Empire sous Justinien, qui fit commencer Saint-Vital, exclusivement sous la direction d’architectes et d’ouvriers grecs. Sainte-Marc est construit, à Venise, au retour des Croisades, par les Vénitiens chargés des dépouilles de Constantinople, et le plus souvent avec des matériaux arrachés aux monumens byzantins.