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l’économat tenus par elles seules. Les couvens de femmes au Canada sont, de l’aveu des juges compétens, très supérieurs sous ce rapport aux couvens d’hommes. Ceux-ci se sont mis quelquefois dans l’embarras, tandis que l’administration des religieuses est impeccable (chose à considérer au point de vue féministe).

Le temps et l’espace me manquent pour énumérer seulement toutes les œuvres de charité qui ont leur place dans cette immense maison, tout un monde. Je me suis promenée au milieu de la nourrisserie où des douzaines de chétives créatures dans leurs berceaux, un biberon aux lèvres, semblent pour la plupart vouées à la mort, quelques soins qu’on leur prodigue. Les grosses chaleurs de l’été les emportent presque en masse. Il y a beaucoup d’estropiés et pour cause ; ces épaves de la misère et de l’inconduite échouent d’ordinaire sous la porte du couvent, enfermées dans un panier. Quatre sont arrivés, me dit la Sœur Baby, ensemble, au fond de la même corbeille. La mère dénaturée ne se fait pas scrupule de leur casser un membre pour qu’ils entrent dans le récipient trop étroit. Comprimés, tordus, malsains presque toujours, avec des vices héréditaires probablement, que deviendraient-ils dans la vie ? Sans doute la canicule leur rend très grand service, aux garçons surtout qui ne pourraient rester dans le couvent au-delà d’un certain âge, passé lequel on les distribue dans la campagne, où ils sont reçus avec répugnance, traités durement. Il n’existe pas un service de l’Assistance publique bien organisé comme chez nous. Les Sœurs grises ne vivent que de ce qu’elles possèdent en propre, de ce qu’elles gagnent et des aumônes de quelques particuliers, sans subvention de l’État, accablées au contraire d’impôts très lourds.

La salle des babies qui ont résisté au biberon et à la chaleur est d’un joli aspect ; on fait danser devant moi les petites filles. Leurs aînées, qui seront placées comme ouvrières ou comme servantes, à moins qu’elles ne préfèrent rester dans la maison, chantent en battant des mains pour accompagner des pas très bien réglés. Une petite Huronne se livre avec entrain à la danse de sa tribu, qui ressemble beaucoup à une bourrée auvergnate ; celle-là est une simple orpheline ; d’autres enfans ont père et mère, mais la pauvreté ou l’abandon leur donne droit d’asile dans cette ruche qui ne renferme pas moins de neuf cents hôtes, grands et petits. A tous, vieillards, infirmes, lamentables débris humains de tout âge, la grande et belle chapelle est commodément accessible.