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café au lait très doux, la jupe de camelot drapée comme celle des ménagères de Chardin, avec un camail noir à capuchon, et sous le petit bonnet de gaze noire une bande de mousseline blanche qui forme sur le front un double rouleau. Toutes, qu’elles soient Canadiennes ou Anglaises, sont sveltes, minces, élégantes ; toutes me semblent jeunes, peut-être parce qu’elles meurent assez vite au rude métier qu’elles font : éducatrices, gardes-malades, berceuses, embrassant tout le cercle de la charité, dirigeant avec cela un pensionnat très fréquenté par les jeunes filles de la bourgeoisie tant anglaise que française. Quelqu’un leur disait devant moi :

— C’est entre vous une émulation répréhensible à qui mourra la première !

Et elles riaient sans dire non, pressées en effet de partir, par l’ardeur d’une foi inexprimable qui leur montre le ciel tout près, comme si elles n’y étaient pas dès ce monde !

A voir les grands bâtimens qu’elles habitent, avec de vastes cours plantées d’arbres et une superbe église, vous ne soupçonnez pas les difficultés qu’elles traversèrent, si pauvres que bien souvent, au début, le repas sonnait chez elles sans qu’on eût rien à manger. Elles rendaient grâces et se retiraient l’estomac vide ; mais peu à peu les aumônes vinrent, non pas de grands dons comme en reçoivent les établissemens de charité aux États-Unis, — on n’est pas riche au Canada français, — mais obole sur obole tombèrent dans le tronc de l’asile. Si les sœurs vivent de peu, leurs enfans sont bien logés, bien soignés. J’en juge par les dortoirs, les classes, la salle de bains, la lingerie admirablement tenue depuis vingt ans par une infirme qui n’a qu’une main !

Rien chez les sœurs grises ne m’a intéressée autant que l’asile des garçons, Nazareth, situé en face du couvent même. C’est une ancienne caserne où les glacis abandonnés de la garnison servent de promenoir et, le jour où j’y suis reçue, l’école paraît encore singulièrement militaire. On m’introduit dans une longue galerie à l’entrée de laquelle un factionnaire de dix ans monte gravement la garde. Il y a là une brigade de gamins en train de faire l’exercice. Leur coiffure, leurs semblans de fusils, leurs sabres de bois les transforment en soldats. Ils défilent au pas gymnastique, précédés de trompettes qui, par un contraste amusant, — cette brigade représentant l’armée anglaise, — sonnent l’air éminemment français de Mal’brough. Toute la marmaille manœuvre en mesure sous