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Les religieuses reprennent : — Notre vieil enfant gâté.

Et de ses mains noires souillées de terre, Mary-Jane effleure tendrement leur voile, un pli de leur robe, avec l’humilité qui fera toujours dire à ceux qui ont le droit de prononcer de telles paroles : « Allez, vos péchés vous sont remis. »

Toutes ne sont pas aussi joyeuses. Une assez gentille brune, occupée à la reliure, a été amenée ici par son père. Elle pleure, tout en travaillant, et répond à une parole de bienveillance : — Commencez-vous à vous habituer un peu ? — par un hochement de tête révolté.

— Celles qui nous donnent le plus de peine, me disent les religieuses, sont les rebelles que leurs familles nous confient… Mais tenez, en voici une dont l’entrée a été singulière. Elle nous fut amenée à une heure indue par un jeune homme qui n’avait certes pas la mine d’un instrument de la Providence. Dieu le récompensera tout de même de sa bonne action.

A la cuisine, la supérieure demande à une grande fille hardie : — Vous êtes toujours décidée à nous quitter, mon enfant ?

— Toujours ! répond l’autre d’un air de défi.

— Vous l’avez déjà dit bien des fois et vous êtes toujours restée. Réfléchissez encore un peu, ne vous pressez pas.

—Il y en a, reprend-elle tout bas, qui se placent en sortant d’ici dans des maisons honnêtes ; il y en a qui se marient.

L’ordinaire des repas est copieux ; là encore le régime du couvent catholique s’éloigne du pénitencier protestant qui se propose scientifiquement d’atténuer les forces physiques.

— Pour bien travailler, disent les religieuses, il faut manger, et puis ces précautions humaines ne conduisent à rien ; l’essentiel c’est la bonne volonté qui attire sur nous la grâce de Dieu.

Elles ont de saintes audaces en vertu de ce principe. L’un des dortoirs très grand, bien aéré d’ailleurs, est tellement encombré de lits, qu’il est impossible d’y circuler ; on dirait une mosaïque formée par les couvre-pieds multicolores.

— Nous sommes un peu serrées ici, en effet, m’explique la sœur surveillante dont la couchette occupe l’un des coins de la chambre, la place nous manque dans notre vieille maison. Oui, c’est presque scandaleux, mais la Sainte Vierge leur fait la grâce, après la besogne du jour, de dormir comme des enfans.

Et, me montrant du doigt une statuette de la Vierge, au pied de laquelle brûle une toute petite lampe :