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volontairement restent cloîtrées jusqu’à la mort, gardant auprès des religieuses l’attitude de Magdeleine auprès de la Vierge, liées comme elles par le triple vœu de pauvreté, de chasteté, d’obéissance et ajoutant encore des austérités volontaires au régime rigoureux de la maison. Il y a des consacrées qui depuis douze, quinze, vingt-cinq ans ne sont pas sorties de l’enceinte du Bon-Pasteur ; je les regarde avec un respect presque craintif tant elles me paraissent surhumaines. Quelques-unes, au visage de cire, semblent demi-mortes déjà sous le vêtement noir qui les distingue de la foule en robes de cotonnade bleue. L’une d’elles, d’apparence particulièrement recommandable, tenait autrefois, il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus, un mauvais lieu ; d’autres vous parlent avec un sentiment d’horreur du temps qu’elles ont passé « dans le monde ».

Une seule consacrée, merveilleusement jolie, malgré l’affreux bonnet noir qui lui cache les cheveux, d’apparence toute jeune, quoique depuis onze ans elle expie, grande, élancée, souriante et fraîche, garde un air de fierté au milieu de tous ces visages ascétiques et pâlis. Elle se nomme Lizzie, elle est Écossaise, elle a passé de l’hôpital à l’asile, ce qui arrive assez souvent. Son histoire n’a rien de romanesque ; il y en a de plus curieuses, assurément, celle par exemple de cette fille si maigre dont les petits doigts légers chiffonnent lestement de la dentelle et qui le dimanche accompagne à l’orgue les chants de ses compagnes. Un piano se trouve dans la chambre, et la supérieure l’engage à me faire un peu de musique. La voilà qui attaque brillamment de souvenir la partition de Faust. C’est une Parisienne enlevée par un amant qui l’a abandonnée en Amérique. Que l’aventure soit vraie ou fausse, l’expiation est là, terrible dans un pareil milieu et supportée, j’en suis témoin, avec une résignation enjouée. Peut-être la pensée que ce ne sera pas long y aide-t-elle un peu. La consomption ronge cette exilée seule de son espèce, mais non pas la seule poitrinaire, il s’en faut, parmi ses compagnes. On me présente des épaves de tous les coins du globe, jusqu’à une Turque, dont il est impossible de ne pas remarquer en passant le teint basané, les grands yeux languis-sans d’Orientale. Elle est pauvre fille, comme les oiseaux qui ne sèment, ni ne moissonnent, je n’ose dire comme les lys des champs qui ne travaillent, ni ne filent. Personne ne la presse ; sa lenteur, ses maladresses ont droit à l’indulgence. Elle vient de si