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les trois se joignirent aux Ursulines qui partaient de Dieppe sous la protection de quelques pères jésuites. Ce fut le commencement entre ces représentantes de l’éducation et celles de la charité au Canada d’une alliance intime qui ne faiblit jamais : les unes, quand un désastre venait à les frapper, se réfugiaient chez les autres, et le pacte qui les unit est encore aujourd’hui affectueusement gardé.

Le départ eut lieu avec éclat, la reine Anne d’Autriche leur promettant sa protection, la duchesse d’Aiguillon envoyant un gentilhomme pour assister à l’embarquement, de très grandes dames se faisant honneur de conduire les voyageuses au port dans leurs carrosses et toute la ville formant cortège, ce qui n’empêcha pas la petite flottille qui portait la fortune spirituelle de la Nouvelle-France de courir les plus grands dangers ; mer démontée dès le premier jour, poursuite des croisières espagnoles, tempêtes répétées, rencontre d’une énorme banquise, quasi-naufrage à l’entrée du golfe Saint-Laurent. Enfin, après deux mois et demi de périls presque incessans, on jeta l’ancre à Tadoussac, d’où Jésuites, Ursulines et Hospitalières prirent la première barque qui partait pour Québec. Ce méchant bateau fort incommode leur fit faire ce que j’ai envié tout le temps de mes excursions sur le Saint-Laurent, un voyage d’été à petites journées avec campement le soir dans les bois au pied des Laurentides. Les caps qui forment la côte nord entendirent chaque matin des voix virginales monter vers le ciel, tandis que la messe était célébrée à la face du soleil levant. C’est la dévote idylle qui de Tadoussac à Québec nous apparaît à travers d’autres scènes moins douces : les échos du grand fleuve doivent retenir ces cantiques de l’aube avec le terrible cri de guerre des sauvages, le rugissement du canon, et le pétillement des mousquets.

Quelles salves joyeuses retentirent lorsque les religieuses abordèrent la terre promise, en la baisant à genoux ! Les Indiens étaient enfin forcés de se rendre au miracle qui, depuis longtemps annoncé, les avait laissés incrédules. Des filles vierges « qui n’avaient pas d’hommes ni d’autre époux que le Grand Esprit », venaient prendre soin d’eux dans leurs maladies, élever leurs enfans, les secourir, les aimer sans les connaître. Elles en donnèrent la preuve aussitôt. Les Ursulines reçurent toutes les petites néophytes qu’on voulut leur confier dans une méchante masure de la basse ville.