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avait dû avec sa jolie figure aux yeux clairs et doux, inspirer bien des passions ! En voici une, entre autres, qui marqua dans sa vie. Vers 1840, il était aide de camp du général Rodolphe de la Tour-Maubourg. Choyé dans le monde, il avait ses grandes et ses petites entrées aux Tuileries : il y réussissait autant par son tact et ses manières que par son physique. Il eut l’occasion d’y danser avec la fille du roi, la princesse Clémentine, alors fort jolie brune aux yeux bleus, pleine d’esprit et de grâce, qui s’éprit de lui. Le roi et la reine s’aperçurent de la chose. On ne perdit pas une seconde. Le lendemain matin, le capitaine de Laubespin, appelé au ministère de la Guerre, était expédié en Afrique. Il y servit d’officier d’ordonnance au maréchal Valée et fut décoré à l’attaque du col de Mouzaïa.

M. de Laubespin est aujourd’hui un de mes meilleurs amis. Il y a soixante-quinze ans que nous sommes liés l’un à l’autre ! Quoique vieux et impotent, je vais le voir deux fois par semaine ; il a épousé Mlle Sieyès, la nièce de l’abbé ; il possède une collection de tableaux, et la fortune considérable dont il jouit n’est employée qu’à des œuvres de bienfaisance.

Quant à la princesse Clémentine, je l’ai rencontrée, il y a peu d’années. Qu’est donc devenue sa fraîcheur si éclatante d’il y a un demi-siècle ? Elle a cependant encore des traits superbes. On croirait voir Louis XIV tel qu’il est reproduit dans le masque de cire accroché à Versailles dans sa chambre, à côté de son grand lit d’apparat. Elle semble jouer aujourd’hui auprès de son fils, le prince de Bulgarie, le rôle d’Égérie que Mme Adélaïde jouait alors auprès de Louis-Philippe.

D’Hayange, je fus appelé à Longwy, petite forteresse à l’extrême frontière, et de là, je dus aller occuper un point du cordon sanitaire établi sur la frontière pour empêcher l’introduction du choléra qui venait de faire son apparition en Europe. Nous reçûmes là l’ordre de nous rendre à Metz, où le roi Louis-Philippe, accompagné de son ministre de la Guerre, le maréchal Soult, venait d’arriver.

En effet, après avoir fait faire quelques promenades de propagande par son fils aîné, Louis-Philippe s’était décidé à parcourir certaines provinces du royaume pour y recueillir les « vœux des populations » suivant le langage officiel. Il se dirigea d’abord vers la Normandie et se rendit de là dans l’Est.

Cette dernière tournée lui était particulièrement agréable. Il