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— Comment sert-il ?

— J’ai le regret de dire qu’il n’est ni très zélé, ni très instruit.

— Ça ne fait rien. Il faut le proposer pour l’avancement. C’était ce même général Roguet qui, voyant un jour, dans une grande bataille, un piquet de gendarmes d’élite attachés au quartier impérial, demanda :

— Que font là ces magistrats ?

Nous voyagions par étapes, et le temps, presque toujours mauvais, nous mettait à des épreuves d’autant plus pénibles que le froid était plus vif et contrastait davantage avec ce chaud soleil que nous quittions à peine ; je pris la fièvre à Langres ; elle ne m’abandonna qu’à Thionville.

Cette place, sise sur la rive gauche de la Moselle, avec une tête de pont fortifiée à la Cormontaigne, a joué plusieurs fois un rôle dans les anciennes guerres de la monarchie française et de la République. Ses fortifications, trop étendues pour l’exiguïté de sa partie bâtie, lui donnent un aspect triste qu’augmentaient encore les brouillards de décembre, lorsque nous arrivâmes.

Je m’y serais fort ennuyé si, dès le commencement de 1831, notre régiment, qui comptait à peine onze cents hommes, n’eût tout à coup été porté à un effectif presque triple.

La révolution de Juillet avait, je vous l’ai dit, excité les haines des puissances continentales. Toutes, se rappelant l’expansion de la France à sa première révolution, se préparaient, soit à se préserver de nos coups, soit à venir étouffer chez nous ces principes attentatoires aux trônes. A l’exemple de ses voisins, la France s’armait : deux classes entières furent appelées sous les drapeaux et les enrôlemens volontaires furent encouragés. L’instruction fut poussée avec une ardeur telle que, les journées ne paraissant pas y suffire, on exerçait encore pendant la nuit les conscrits dans les chambres, dans les corridors, dans les manèges, à la lueur des flambeaux et des lanternes. Je me remémore avec plaisir l’enthousiasme de cette époque, où chacun de nous voyait pour récompense à ses peines des occasions prochaines d’acquérir de la gloire.

La guerre me paraissait tellement imminente que je ne m’occupais que d’elle. Le temps que je ne passais pas à la caserne et aux manœuvres, je l’employais à étudier les campagnes de la République et de l’Empire ; je fréquentais les vieux officiers qui y avaient pris part, je leur faisais raconter les épisodes les plus