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appartenu aux armées hollandaise, westphalienne et hanovrienne.

Comment était-il devenu Français ? je l’ignore. Toujours est-il qu’il était licencié depuis Waterloo. Il nous quitta du reste bientôt ; car aussitôt après son arrivée, on l’envoya comme chef de bataillon en Afrique ; il avait surtout fait les campagnes d’Espagne et de Portugal.

On nous affubla encore d’un Portugais. Celui-là, il est vrai, méritait bien de rentrer dans l’armée française ; car, à l’encontre de ses compatriotes qui nous avaient fait une guerre si terrible durant l’Empire, il avait suivi le marquis d’Alorna dans une légion à la solde de la France. Dès 1808, il avait quitté son pays et s’était battu en Italie et en Allemagne ; il avait fait toute la campagne de Russie, et en sa qualité d’homme du Midi, il avait mieux supporté que les Allemands les rigueurs des climats du Nord.

Je me souviens aussi d’un nommé Garavel, un vieux soldat de la garde impériale, blessé à Friedland, à Wagram et à la Moskowa. Mis en réforme à la Restauration, il avait fait partie de toutes les sociétés secrètes possibles : des carbonari ; de la société « Aide-toi le ciel t’aidera ! » ; de celle des Droits de l’Homme, etc.. Aussi le maréchal de Castellane, qui était grand seigneur jusqu’au bout des ongles, ne pouvait-il souffrir ce vieux conspirateur, qu’il appelait toujours : « le Carbonaro ».

Il y en avait enfin un plus curieux que tous les autres, du nom de Lobrot. C’était un vieux débris des guerres de l’Empire, fort commun, borné, mais un héroïque soldat. Il avait reçu pas mal de blessures dont l’une lui traversait la figure en biais ; c’était un horrible coup de sabre attrapé à Gratz, dans la fameuse affaire où le 84e de ligne, commandé par Gambin, avait repoussé vingt mille Autrichiens. Quoique Napoléon eût généreusement récompensé le 84e après ce fait d’armes ; quoiqu’il eût ordonné de faire inscrire sur le drapeau du régiment : « Un contre dix » ; quoiqu’il eût nommé le colonel Gambin commandeur de la Légion d’honneur, général et comte de l’Empire, ce pauvre Lobrot, alors sergent, malgré ses terribles blessures, avait été oublié. Après avoir servi comme sous-lieutenant jusqu’à Waterloo, il avait été licencié en 1816. Durant la Restauration, n’ayant aucune ressource, il avait été garde-chasse. De jeunes officiers sortant de Saint-Cyr s’amusaient beaucoup d’une phrase qu’il avait dite dans un bal à une jeune fille. Comme il la reconduisait à sa place, après l’avoir fait danser :