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de gardes nationaux et de soldats de la ligne pour s’en emparer. On apporte ces caisses à l’hôtel de ville, et on les ouvre devant le public amassé. La première pièce qu’on en retire est une vieille hallebarde du XVIe siècle. La foule murmure. « Ce sont, dit-elle, des armes envoyées pour nous combattre. » Mais après la hallebarde, on ne trouve plus que des pots cassés, étrusques ou autres, une masse d’antiquailles de Rome ou d’ailleurs. C’était une collection destinée à un musée ou à un amateur.

On se mit à rire de la méprise, et tout fut fini.

Une troisième fois, ce fut un peu plus grave, au moins pour moi.

Comme il n’y avait pas d’artillerie à Lyon, on m’avait chargé, en ma qualité d’ancien saint-cyrien, ‘ : apprendre à une compagnie de grenadiers la manœuvre du canon. J’allais donc de temps en temps à l’arsenal avec les grenadiers, et après l’exercice, je reconduisais mes hommes au quartier.

Deux ou trois jours après la révolution, comme je venais de donner l’ordre aux sous-officiers de ramener les grenadiers au quartier et que je rentrais seul par les quais de la Saône, j’aperçus un rassemblement assez considérable. Ceux qui le composent se jettent sur moi en criant : « A l’eau ! A l’eau ! A la Saône ! Ça lui apprendra à vouloir faire tirer le canon sur nous ! »

Ces hommes, tous à mine terrible, étaient furieux, et je sentis que, s’ils m’atteignaient, c’en était fait de moi. Car à coups de madrier ou en me jetant des pierres, ils m’eussent empêché de nager.

Je n’hésitai pas ; je fis demi-tour et je me mis à courir aussi vite que je le pouvais. Vous pouvez me croire ; s’il m’était égal d’être tué sur le champ de bataille, je ne tenais pas à être assassiné par une bande de sacripans.

J’avais alors des jambes de vingt ans, et, avec l’habitude de toutes les gymnastiques, j’étais fort agile. Un moment je me crus hors de danger. Je venais d’atteindre l’église Saint-Vincent, qui est entourée d’une forte grille. Je pensais passer de l’autre côté de la grille et la rabattre sur’ mes agresseurs avant qu’ils m’eussent rejoint ; mais, par malheur, et, sans doute, en prévision de troubles, la grille était fermée. J’eus alors un moment d’hésitation, presque un accès de désespoir. Devais-je me jeter à la Saône ou bien poursuivre ma course ? Ce second projet me parut préférable. J’étais en nage. Mais n’importe !… Mon courage renaît, et un peu plus loin je trouve une ruelle ; je m’y élance ; d’autres