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qu’il aurait peu de temps l’honneur de nous commander. Dans la journée même, en effet, il attendait le général Bachelu, désigné par le nouveau gouvernement pour prendre le commandement des troupes de Lyon et des environs.

Le même soir, — c’est le 3 ou le 4 août 1830, — Bachelu arrivait à Lyon et le lendemain il nous passait en revue.

C’était encore un fort bel homme, une sorte de géant. A part le teint cuivré et les lèvres lippues, il ressemblait à Alexandre Dumas père. Il mesurait au moins deux mètres de haut, avait les épaules d’une carrure extraordinaire et une forêt de longs cheveux noirs presque crépus, avec des sourcils énormes.

Il avait été l’aide de camp du général Leclerc, le premier mari de la belle Pauline Bonaparte. Après la mort de Leclerc à Saint-Domingue, il avait accompagné sa veuve en France, et d’aucuns prétendaient même qu’il s’était chargé de la consoler. A Waterloo, c’était lui qui avait attaqué et emporté le bois d’Hougoumont. Il était privé de son grade depuis la Restauration et était parti de Paris sans prendre le temps de rien préparer ; aussi n’avait-il point d’uniforme, et à la revue qu’il passa, il portait une redingote, sans autre signe distinctif qu’une cocarde tricolore fixée à son chapeau haut de forme, à larges bords retroussés.

A cette revue du général Bachelu, me trouvant à côté du capitaine Amyot, je lui demandai, en entendant un air nouveau :

— Qu’est-ce que cet air-là ! Comme il est beau !

— Ah ! tu ne connais pas ça, petit, me dit-il, c’est la Marseillaise ! J’ignorais encore le fameux chant.

Avec tous ces bouleversemens, la population de Lyon n’était pas très calme ; on sentait déjà un souffle avant-coureur des troubles de 1831 et de 1834. Deux fois le mouvement populaire se termina d’une façon plutôt risible.

Il y avait, il y a même encore, sur la place Bellecour, une statue équestre de Louis XIV. Un beau matin, la foule surexcitée veut l’abattre ; on crie, on vocifère, on demande la mort de ce tyran de bronze. Soudain un professeur de gymnastique monte sur le piédestal, grimpe comme un chat après les jambes du cheval et plante entre les bras du Roi-Soleil un drapeau tricolore. La fureur du peuple fait place à des trépignemens de joie et à d’enthousiastes acclamations.

Un autre jour, on saisit des caisses qui arrivent du Piémont. « Ce sont des armes ! » crie la foule exaspérée, qui exige l’envoi