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spectateurs. Le général Verdier paraît d’abord au balcon de l’hôtel de ville, présente le drapeau tricolore qu’un officier tient à côté de lui et, s’adressant aux troupes massées sous ses yeux et au peuple qui se presse derrière elles, il s’exprime ainsi :

« Je suis heureux de revoir des officiers et des soldats français. Il y a bien longtemps que je suis privé de ce plaisir. J’ai cependant parcouru tous les pays de l’Europe à la tête des troupes françaises. Je suis content de revoir mes compagnons d’armes et d’avoir à les commander. »

Comme j’étais tout près de l’hôtel de ville, je vis très bien le général Verdier : il était assez grand, avec une toute petite tête ronde comme une pomme, le menton et le front fuyans. Il portait de larges favoris coupés ras, mais qui lui couvraient presque toute la figure.

Il avait l’uniforme des généraux du premier empire avec un énorme sabre à large poignée tout ornée et à fourreau doré. Beaucoup de nos camarades qui avaient connu le général Verdier me dirent que Bonaparte avait donné ce sabre à Kléber après la campagne de Syrie : à son tour Kléber l’avait offert à Verdier pour sa conduite héroïque à Héliopolis.

Le général Verdier avait été, en effet, un des compagnons de Bonaparte dans les campagnes d’Italie et de Syrie. Mais comme il était resté en demi-solde sous la Restauration, il avait perdu l’habitude de monter à cheval, et il n’était plus le fougueux soldat qui s’était distingué particulièrement à Arcole. Quand il fallut passer la revue, on lui présenta une monture de bel aspect, mais un peu irritable. Tout alla bien d’abord ; surpris toutefois par l’exécution d’un roulement de tambour, son cheval fit un saut de côté et le général Verdier tomba à terre. Sa tête toucha le sol ; il resta sans connaissance et on dut l’emporter.

Durant tous ces événemens, le général Paultre de Lamothe, gouverneur militaire de la ville, était resté à Lyon, refusant d’abandonner son commandement ; de sorte que, tout en adoptant les trois couleurs, aucun de nous ne s’était mis à la disposition du général Verdier, qui demeurait à la tête de la garde nationale seule. Mais un matin nous apprenons la démission du général Paultre de Lamothe qui a même quitté Lyon durant la nuit. Aussitôt tout le corps des officiers se rend à l’hôtel de ville pour se placer sous les ordres du général Verdier. Ce dernier nous fait un discours assez bien tourné pour nous remercier et nous apprendre