Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

furent pas consignées : officiers et soldats circulèrent librement dans la foule. Bien que la population se montrât assez surexcitée, il n’y eut ni rassemblement armé, ni cris séditieux. On discutait beaucoup, en attendant les nouvelles, car on ne savait pas quel serait le résultat de la lutte engagée entre l’armée et la population de Paris.

Il n’en fut pas de même le lendemain, quoiqu’on n’en sût pas davantage ; les courriers en effet avaient tous été arrêtés. Les boutiques se fermèrent, des attroupemens se formèrent dans les rues, et la troupe fut consignée. Le lieutenant-colonel Duhout arriva au quartier vers midi. Il prit immédiatement le commandement du régiment et nous mena sur la place des Terreaux, sous un soleil de plomb. C’est une des plus chaudes journées que j’aie eu à supporter. La place des Terreaux forme un immense carré bordé sur trois de ses faces par de hautes maisons et sur la quatrième par la masse des bâtimens de l’hôtel de ville. Durant la nuit et le matin, un certain nombre de compagnies de gardes nationaux, recrutés un peu partout, s’étaient constituées militairement. Lorsque nous arrivâmes sur la place, nous vîmes rangés tout contre l’hôtel de ville une centaine de ces gardes nationaux diversement accoutrés. Quelques-uns d’entre eux, appartenant à la bourgeoisie aisée, étaient encore en costume civil. Les (autres, d’anciens militaires, portaient leurs vieux uniformes ; il y en avait de toutes les armes : des hussards, des gendarmes, des dragons, des grenadiers, des cuirassiers. On eût dit des revenans, tant la mode avait changé. Un officier en demi-solde commandait cette troupe bizarre. Il était vêtu d’une longue redingote marron, coiffé d’un chapeau à larges bords, portait le ruban de la Légion d’honneur à la boutonnière et une épée à la main. J’entendis dire qu’il avait été capitaine de la garde impériale.

On nous forma en masse, face à l’hôtel de ville, derrière la garde nationale.

À ce moment la population était assez clairsemée sur la place. Les Lyonnais n’avaient, sans doute, pas perdu l’habitude de déjeuner, même en temps de révolution ! Mais peu à peu la foule augmente. Elle devient même si compacte vers trois heures que la circulation est rendue impossible sur la place et dans les rues avoisinantes. Il y a là des gens de toutes sortes, des ouvriers et des bourgeois, des femmes et des enfans. Le soleil terrible qui darde ses rayons sur leurs têtes ne semble pas les incommoder ; au contraire, son éclat donne à cette manifestation l’apparence d’une