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tion » qui est l’idéal collectiviste. On ne peut pas plus être tout ensemble anarchiste et collectiviste que l’on ne peut être idolâtre et chrétien, ou les mots ne veulent plus rien dire. Faut-il ajouter que cet idéal est également contradictoire en soi, si la « nationalisation des moyens de production », mines ou chemins de fer, aurait sans doute pour premier effet de détruire ce qu’il y a déjà de « collectif » dans la propriété individuelle d’une action de charbonnages ou d’une obligation de la Compagnie d’Orléans ? Ce sont ces contradictions, ces divisions qu’il faudra qu’on mette en lumière ; — et ce sera déjà un pas considérable de fait.

Après cela, puisqu’en l’absence de programme ils sont tous d’accord au moins sur un point, qui est la transformation du système capitaliste, ou, pour parler plus franchement, la suppression de la propriété individuelle, on la défendra contre eux tous, et contre leurs propositions de réformes fiscales. M. Méline rappelait récemment les paroles d’Henry George : « Ne confisquez pas, augmentez l’impôt. Il n’est pas nécessaire de confisquer la terre mais seulement la rente : nous pouvons laisser l’écorce aux propriétaires, si nous prenons l’amande. » Et, en effet, c’est précisément, c’est même uniquement où tendent l’impôt global sur le revenu, l’impôt progressif, ou l’impôt sur la rente. Nous n’avons pas besoin de montrer une fois de plus ce que le dernier pourrait avoir de dangereux, ce que le second a d’inique, et le premier, l’impôt sur le revenu, d’assez équivoque. Car ce sont toujours les revenus qu’un impôt se propose d’atteindre, même quand on l’asseoit sur le fonds, et toute la question n’est que de savoir comment on constatera le revenu. Mais ce qu’il faut bien voir, c’est que les impôts socialistes, — et on les reconnaît à ce signe, — ont essentiellement pour objet de détruire la fortune à mesure qu’elle se forme, et de manière à l’empêcher d’être jamais ce qu’on appelle acquise. Les socialistes, ceux qui veulent être députés, n’osant pas attaquer ouvertement la propriété individuelle dans un pays qui, comme la France, ne compte pas moins de quatre ou cinq millions de petits propriétaires, ont trouvé ce biais ingénieux d’intéresser lesdits propriétaires, en leur parlant de justice sociale, à leur propre dépossession. Et, grâce à la maladresse insigne du parti radical, qui n’avait pas vu d’abord où on le menait, — puisque, aussitôt qu’il l’a vu, les projets de M. Cavaignac et les discours de M. Bourgeois nous sont témoins que, de reculade en reculade, il n’a conservé de l’impôt sur le revenu que le nom, — la tactique a failli un moment réussir. Mais l’opinion, avertie, ne s’y laissera plus tromper désormais, et, tout en consentant qu’il