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leur entretien, comment peuvent-ils économiser pour payer le propriétaire à la fin du trimestre ? Donner le logement à un ouvrier âgé, c’est le secourir plus efficacement que si on lui assurait une rente de 300 francs. A Paris les asiles pour les vieillards ne manquent pas, mais ils sont insuffisans et mal compris[1]. Tout d’abord, ils brisent les liens de famille, ils séparent les époux ; en outre, ils les font vivre dans l’oisiveté, alors qu’ils pourraient encore un peu travailler ; enfin, transportés dans un dortoir d’hospice, les vieillards ne sont plus chez eux, ils n’ont plus leur petit mobilier. Aussi qu’arrive-t-il ? Plusieurs de ces vieillards, logés, nourris, chauffés gratuitement dans ces maisons de retraite, en sortent volontairement pour reprendre leur liberté et se suicident ensuite, parce qu’ils sont trop malheureux. Dans la cité de l’abbé Rambaud, on concède gratuitement un domicile aux vieux ouvriers, sans leur enlever leur liberté, leurs relations, leur famille ; ils sont chez eux, ils s’installent dans un domicile avec leur métier ; en tout cas, la cité ne les nourrit pas, c’est à eux à se débrouiller. L’abbé Rambaud a compris la nécessité de ne pas briser les liens de famille, en séparant de vieux époux qui presque toujours ont enfans et petits-enfans, de ne pas avilir ces pères et mères, grands-pères et grand’mères, en leur enlevant toute responsabilité, toute vie propre, toute liberté, toute suprématie sur leurs enfans, en leur enlevant leur vieux mobilier, la possibilité de recevoir encore chez eux leurs enfans, leurs vieux amis, de boire une bouteille et de casser une croûte à leur table, de se chauffer à leur feu, de fumer leur pipe sur leur porte. La liberté est une si belle chose ! Manger son pain à soi, chez soi, c’est si bon !

Voilà l’œuvre admirable qu’a fondée à Lyon l’abbé Rambaud. Je souhaite que Paris s’en inspire. C’est le meilleur mode d’assistance pour les vieux ouvriers. L’assistance ne doit pas être seulement dévouée, généreuse, elle doit être surtout éclairée, intelligente, en substituant de plus en plus à l’aumône l’assistance par le travail, en donnant du travail à l’ouvrier qui en manque et un logement gratuit à l’ouvrier âgé, qui ne peut plus se suffire.


Louis PROAL.

  1. A Nanterre, par exemple, les vieillards qui forment la 4e section, sont hospitalisés à côté des mendians déjà condamnés. — Les asiles pour les vieillards sont en outre si insuffisans, que l’on envoie à l’asile Sainte-Anne, qui est un asile d’aliénés, les vieillards dont les facultés commencent à baisser.