Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au crématoire du paire la chaise. Je laisse deux orphelins sent le sous. Je ne désire pas de corbiare. Pas de seremonie religieuse. » — Un marbrier, âgé de soixante ans, dont la femme est malade, annonce à ses parens la résolution qu’il a prise de se tuer : « Il y a longtemps que ça ne va pas. Plus d’argent. Des dettes ! Plus de logement. Plus de travail. Pas de prêtre. Pas de veillée, pas de lumière autour de moi. Faites moi incinéré si sa ne coûte rien. » — Autre lettre : « Chers beaufrère, aux momens que vous recevrez ma lettre, j’aurait cesset de vivre. Faites-moi incinérer. Je vous lais tous mes outils. » — « Je désire être enterré sivillement. Que mon cor soit livré à la faculté de médecine oust si toute fois long m’enterre qu’il soit siville. » Le nombre des libres penseuses s’accroît comme celui des libres penseurs. Des mères de famille font enterrer leurs enfans civilement et leur refusent un enterrement religieux. Dernièrement une jeune fille, avant de se suicider, écrivait à sa mère pour la supplier de lui accorder un enterrement religieux. On trouve dans les dossiers de suicides un certain nombre de lettres de femmes demandant l’enterrement civil et même l’incinération. « Je vous prie, écrivait l’une d’elles au commissaire de police, de vouloir bien, après les constatations nécessaires, faire procéder à mon incinération, cérémonie civile et de dernière classe. Les cendres seront employées comme engrais ou enfermées dans une urne sans plaque ni indication. »

Il est d’ailleurs exact que, dans quelques lettres de suicidés par misère, on trouve la persistance de sentimens religieux. Ils souffrent tant, qu’ils s’imaginent que Dieu regardera cette souffrance comme une expiation anticipée du suicide. La foi ne préserve donc pas toujours du suicide, j’en conviens : toute règle comporte des exceptions. Mais, il me paraît certain que, sans la foi à un autre monde où ceux qui pleurent seront consolés, sans la croyance à un Dieu qui impose la vie comme une épreuve, et qui défend d’en sortir sans son ordre, l’homme qui souffre cède plus facilement à la tentation d’aller trouver le repos dans la tombe. Ne plus souffrir, perdre le souvenir de ses souffrances passées, la sensation de ses souffrances présentes, la crainte de ses souffrances futures, comme c’est tentant pour celui qui ne croit plus à rien ! La foi ne supprime pas la douleur, elle l’endort, elle la berce, elle la calme, elle l’empêche de dégénérer en désespoir.

Mais si la foi console, elle ne donne pas du travail et du pain