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sommeil éternel. » Ces mots de repos, de sommeil, ne disent rien à l’imagination des heureux de ce monde qui peuvent se reposer, dormir tant qu’ils veulent, mais sur les malheureux ils exercent une sorte de fascination. On trouve souvent dans leurs écrits cette pensée : « Comme je vais bien dormir ! » La mort ne fait même plus peur aux jeunes filles. Une jeune modiste âgée de dix-sept ans, qui était alors sans travail, disait au mois d’août dernier à une religieuse, qui me l’a raconté, que, si elle n’avait pas de travail dans un mois, elle irait se jeter dans la Seine. Dernièrement une jeune fille s’est empoisonnée pour un chagrin d’amour, sous les yeux d’une amie qui l’a regardée faire, trouvant la chose toute naturelle ; c’est l’amie qui était allée chercher le poison. Au mois de juillet dernier, quatre jeunes femmes se sont asphyxiées ensemble, en disant qu’elles étaient lasses de la vie et qu’elles voulaient se soustraire aux chagrins qu’elles éprouvaient.

J’attribue ce défaut de résignation à l’affaiblissement du sentiment religieux dans le peuple de Paris. Au VIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe le sentiment religieux s’était maintenu dans le peuple, pendant qu’il s’était affaibli dans les hautes classes de la société. Aujourd’hui, c’est la situation inverse qui se produit : à mesure que les hautes classes, par conviction ou par intérêt et par mode, comprennent la nécessité sociale de la religion, le peuple de Paris s’en éloigne de plus en plus. Il y a trente ans, tout en perdant ses croyances chrétiennes, le peuple de Paris avait conservé la religion naturelle, la croyance en Dieu et à une vie future ; mais aujourd’hui l’indifférence religieuse et même l’hostilité sont si répandues, que j’ai trouvé dans un grand nombre de lettres la demande d’un enterrement civil.

Quelques-unes de ces demandes sont écrites correctement, en quelques mots : « Pas d’Église ! » dit l’un. — « Mon inhumation, bien entendu, doit être civile », écrit un autre. — « Ne me faites pas passer par l’église, je n’y tiens pas », recommande un troisième. Le plus grand nombre de ces demandes d’enterrement civil sont moins remarquables par la libre pensée que par la libre orthographe qui y règne ; et je demande aux lecteurs la permission de reproduire quelques-unes de ces lettres, qui me paraissent constituer des documens d’un très haut intérêt sur l’état moral et intellectuel des ouvriers de Paris. « Je donne mon cadavre à lecolle de médecine, écrit un charpentier âgé de cinquante-six ans, ci elle veut bien l’assepter à condision que l’on me fasse insiserer