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dans ce monde, où elle a tant souffert. Il y a quelques mois, lorsque les époux X…, tombés dans la misère, résolurent de s’empoisonner et de tuer auparavant leurs petites filles, le mari, au dernier moment, recula devant l’horreur de ce projet ; mais la femme, voyant les hésitations de son mari, se leva la nuit sans l’avertir, alla s’agenouiller au pied du lit des enfans qui dormaient, les réveilla, leur fît avaler le poison et absorba le reste du flacon. On trouva la lettre suivante qu’elle avait écrite avant d’aller réveiller les petites filles : « Etant obligée de me séparer de mes enfans et voyant que mon mari traîne trop pour se décider, je préfère mourir avec eux ce soir. »

Mourir avec ceux qu’elle aime, avec ses enfans, avec son mari, avec son amant, est pour quelques femmes malheureuses, exaltées par la douleur, une suprême consolation. « Fatiguée de souffrir, écrit une couturière qui vivait maritalement avec un ouvrier n’ayant que la misère en perspective, je préfère me donner la mort. » Au bas de ces lignes, l’amant ajoute : « Moi, de mon côté, abreuvé de chagrins, ne pouvant trouver de travail, ayant tout vendu, je ne veux pas lui survivre. » — Une ouvrière âgée de trente-cinq ans, écrit au commissaire de police : « Je me tue et j’emmène mon enfant avec moi (l’enfant avait quinze mois), parce que je ne peux pas aider mon mari malade, et que, malgré l’économie que j’apporte dans le ménage, je n’arrive pas. Je compte sur votre bienveillance, pour que l’on ne me sépare pas de mon enfant. » — Il y a quelques mois, une mère s’est suicidée avec ses trois filles, l’une de quatre ans, l’autre de deux ans, la dernière de quelques mois ; elle se plaça sur un lit avec les deux aînées, pour attendre l’asphyxie ; le petit bébé fut laissé dans son berceau. — Tout dernièrement encore à Paris une lingère, tombée dans la misère, et décidée à se suicider, détermina son fils, âgé de quarante-trois ans, à mourir avec elle ; on trouva les deux cadavres assis dans un fauteuil devant une table ; le fils avait tiré un coup de revolver à la tête de sa mère et s’était ensuite brûlé la cervelle. — Une femme, âgée de soixante-quinze ans, s’est tuée avec son fils, ouvrier tailleur, âgé de cinquante-quatre ans ; ils avaient un loyer de 800 francs. Bientôt ils ne purent le payer ; la veille de leur expulsion ils s’asphyxièrent.

On sait qu’à l’exception des mendiantes et des ivrognesses, le souci de la toilette n’abandonne jamais la femme. Dans les suicides d’amour, la jeune fille se pare pour la mort comme pour