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était grande de part et d’autre, lorsqu’un homme sortit de la foule : c’était Jean Chouan.

— Quand le Roi, cria-t-il, demandera que nous prenions les armes, nous marcherons tous, je réponds pour tous ; mais s’il faut partir pour ce que vous appelez la liberté, vous qui la voulez, allez vous battre pour elle ! Quant à nous, nous sommes tous au Roi, rien qu’au Roi.

Cette profession de foi catégorique eut le plus grand succès. « Oui, tous au Roi ! » répondirent d’une seule voix les paysans : en un instant les commissaires, l’intrus, les gendarmes, les Patauds furent poussés, culbutés, roués de coups, chassés du village et reprirent piteusement la route de Laval. Le soir même Jean Chouan rassembla les jeunes gens qui l’avaient soutenu : il leur apprit les projets du marquis de la Rouerie et que la contre-révolution était proche :

— Sous peu de jours, dit-il, la Bretagne aura pris les armes et viendra à notre aide ; montrons aux Bretons que les Mainiaux n’ont pas peur. Déjà nos têtes blanches ont chassé un intrus, c’est à nous à ramener les bons prêtres.

Et, dès ce jour, on vit, courant la contrée, à la brune, des petites bandes de paysans, guettant les patrouilles de bleus, s’embusquant dans les haies, houspillant les patriotes. Ils allaient, vêtus de la bielle, sorte de veste de couleur sombre, la braie de berlinge noire ouverte aux genoux, laissant le jarret nu et libre ; des guêtres de cuir défendaient leurs jambes contre les broussailles et les ajoncs : un épais bonnet de laine ou un chapeau à grands bords couvrait leurs longs cheveux. Tous étaient armés : au-dessus de leur épaule la lame d’une faux ou le canon d’un fusil pointait ; quelques-uns portaient la ferte, long bâton servant d’appui pour franchir les haies et les fossés. Leur agilité tenait du prodige ; ni broussaille, ni barrière n’arrêtait un instant leur course : le premier sobriquet qu’ils reçurent fut celui de bande d’oiseaux. Ils avaient adopté, pour s’appeler, un sifflement particulier qu’on peut orthographier IOU, et qui ressemblait assez au cri du chat-huant.

Au cours de cet automne de 1792, une dénonciation parvenue au directoire de Laval signalait Launay-Villiers comme un repaire de conspirateurs. Les gardes nationales de la Baconnière, d’Andouillé et de la Brullatte se portèrent sur le château qu’elles trouvèrent désert et qu’elles mirent au pillage. Le marquis de la