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savait comment s’y prendre pour se séparer de son frère » ; et puis, il faudrait obtenir des secours en argent de l’Angleterre, en hommes de Brunswick, et la conduite hésitante de celui-ci restait inexplicable ; si l’on était obligé de se passer de son concours, on attendrait, pour envoyer des régimens en Bretagne, que la Suisse fit son entrée dans la coalition, ce qui ne pouvait tarder.

Telles furent les décisions auxquelles s’arrêta le Comte d’Artois ; Chévetel et Fontevieux, qui ne s’étaient point séparés pendant ce voyage de trois mois, n’avaient plus rien à faire à Liège. Fontevieux s’embarqua à Ostende, se chargeant de porter au marquis de la Rouerie la réponse du prince ; Chévetel prit congé à son tour et revint directement à Paris, où il rendit compte à Danton du résultat de son ambassade.

On était aux derniers jours de 1792 ; si l’entreprise de la Rouerie se trouvait retardée, le succès, en somme, n’en était pas compromis. Botherel tenait prêt, à Jersey, un navire chargé de 1 800 fusils, de 6 pièces de canon et de munitions abondantes : il disposait de huit bateaux de débarquement et de deux petits corsaires de deux cents tonneaux ; le Comte d’Artois devait, à l’heure décisive, appuyer de l’autorité de son nom et de sa présence le mouvement projeté : c’était là, réunies, bien des chances de réussite auxquelles venait s’ajouter, comme la plus sérieuse de toutes, l’enthousiaste impatience des paysans de Bretagne qu’on avait peine à contenir et qui, depuis bientôt deux ans, enrégimentés et armés par les soins du marquis de la Rouerie, brûlaient de se lever à sa voix et de le suivre à Paris afin de délivrer le Roi dont les prêtres réfractaires leur contaient les humiliations et le lent martyre.

Le marquis, d’ailleurs, parcourait incessamment le pays, de Saint-Brieuc à Laval, entretenant cette agitation, ne séjournant pas plus d’un jour au même lieu, et, chose remarquable, comme s’il eût semé la poudre, partout où il passait, éclatait la guerre des paysans. Jean Chouan, son fanatique séide, avait monté les têtes de ses concitoyens de Saint-Ouen-des-Toits : le jour où le curé constitutionnel fit son entrée dans le village, escorté des commissaires du district de Laval venus pour lever des volontaires, il fut reçu par des huées : la population, tout entière dans la rue, cria : A bas les Patauds, pas d’intrus, pas de volontaires !

Les paysans appelaient Patauds les gardes nationaux de la ville qui accompagnaient en armes leurs magistrats. L’animosité