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dévoûmens qui s’offraient : il délimita avec soin le rôle de chacun de ses auxiliaires et les commissionna officiellement au nom du Roi. En 1796, un nommé Etienne Léger, demeurant à Fougères, découvrit en bêchant son jardin une boîte de fer-blanc qu’on parvint à ouvrir malgré la rouille qui la recouvrait. Elle contenait un papier, couvert d’écritures et scellé d’un cachet de cire rouge. Léger apporta sa trouvaille à la municipalité : l’humidité avait rendu le texte presque illisible, surtout aux plis du papier : on parvint cependant, non sans peine, à déchiffrer la nomination du chevalier Léziard de Villorée, comme chef de la section formée des quatre compagnies levées dans la ville de Fougères et paroisses circonvoisines. La pièce était datée du château de la Rouerie en 1792 et signée : « Par ordre de M. le marquis de la Rouerie, chef de l’association bretonne », du nom de Deshayes, son secrétaire. Le cachet de cire rouge portait l’écusson d’argent à la bande de sable chargée de trois croissans d’argent.

Cependant si les partisans affluaient, les cotisations faisaient défaut. La Rouerie avait, il est vrai, fait choix d’un agent comptable : c’était Desilles, le père du jeune officier tué à Nancy lors des troubles d’août 1790 ; on avait bien invité les adhérens à verser à la caisse de l’Association une année de leurs revenus ; beaucoup avaient promis ; mais l’argent était rare, et ils ne payaient point. La fortune du marquis était obérée au point qu’il était lui-même menacé par ses créanciers : les emprunts qu’il avait faits à son oncle et auxquels M. de la Belinaye, émigré, d’ailleurs, depuis le 1er janvier 1790, avait généreusement souscrit, ne suffisaient pas au train très considérable que les circonstances imposaient au châtelain de la Rouerie. Il avait quatorze domestiques, dix chevaux de selle sans compter ceux de harnais ; et nous verrons que, jour et nuit, c’était, au château, un mouvement continuel de paysans, d’espions, de recrues faisant l’exercice, d’émissaires apportant des nouvelles : le marquis tenait table ouverte, faisait servir à boire à tout le monde, et payait vingt sous par jour les volontaires qui montaient la garde aux barrières de son parc ou patrouillaient sur ses terres.

La situation pécuniaire devenait donc chaque jour plus critique, et, vers la fin de septembre 1791, la Rouerie dépêcha vers Coblentz son cousin Tuffin, chargé de soutirer quelque argent de ce tonneau des Danaïdes qu’était la caisse de l’émigration. Calonne, qui continuait, comme au bon temps de son ministère, à jongler