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sévère remontrance qui n’était, en réalité, qu’un acte d’accusation véritable contre Brienne et Lamoignon. Ils déclaraient réclamer formellement l’exécution du contrat de mariage de Louis XII et de la duchesse Anne, relativement aux libertés et aux coutumes particulières de la province, reprochant au roi de violer le contrat d’union, "grief gros de menaces et qui faisait dire à Versailles : La Bretagne effraie.

Le chevalier de Guer, le marquis de Trémargat, jambe de bois, le comte de Bedée, oncle de Chateaubriand, — qu’on appelait Bedée l’artichaut, à cause de son gros ventre, pour le distinguer d’un autre Bedée, long et effilé, qu’on nommait Bedée l’asperge, — faisaient cependant, par leur intransigeance, nombre d’ennemis à l’ordre privilégié : on parlait un jour d’établir une école militaire où seraient élevés les fils de la noblesse pauvre ; un membre du Tiers s’écria :

— Et nos fils, qu’auront-ils ?

— L’hôpital ! repartit Trémargat ; — mot qui, tombé dans la foule, germa promptement.

On pense bien que le marquis de la Rouerie s’était enflammé aux premières nouvelles de ces conflits. Il était accouru à Rennes et se montrait parmi les plus exaltés, et nous croyons ne pas nous tromper en datant de cette époque un duel qu’il eut avec son cousin Guitton de la Villeberge, lieutenant de vaisseau. Toujours est-il que, lorsqu’il fut question de porter à Versailles la remontrance des nobles bretons, il fut l’un des douze gentilshommes choisis pour cette délicate mission : les autres étaient MM. de la Fruglaye, de Guer, de Nétumières, de Bec de Lièvre, de Montluc, de Trémargat, de Carné, de la Féronière, de Cicé, de Châtillon et de Bedée l’artichaut.

Ils arrivèrent à Paris le 5 juillet 1788, et le public se montrait curieux de la façon dont le roi recevrait cette indiscrète ambassade : on assurait que dix autres députés les avaient suivis « pour leur succéder si le ministre Brienne attentait à la liberté des premiers ». Les États de Bretagne s’étaient engagés, de leur côté, à employer tous les moyens pour la défense de leurs représentans, et à armer même la province si leurs personnes étaient menacées. Les douze députés se présentèrent à Versailles et ne furent pas admis : ils se retirèrent en notifiant que « s’ils n’obtenaient pas audience du roi avant un jour qu’ils fixaient, ils retourneraient rendre compte de ce refus à leurs commettans ». Sur cette menace