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sa vieille maison de Fougères ou dans son château isolé de Saint-Ouen de la Rouerie. Ce furent autant de circonstances qui le firent songer au mariage.

Il y avait alors, au bourg de Saint-Brice-en-Cogles, distant d’une lieue et demie du château de la Rouerie, une « des plus belles et des plus riches héritières du pays ». Son père, le marquis de Saint-Brice, était mort ; sa mère se nommait Hyacinthe le Prestre de Chêteaugiron ; elle-même portait les titres de très haute et très puissante demoiselle Louise-Caroline Guérin, dame marquise de Saint-Brice de Champinel, baronne des baronnies de Sens et de la Chatière, châtelaine des châtellenies de Saint-Etienne, la Fontaine-la-Chaise, Parigné, le Sollier, le Rocher-Portail et autres lieux. Cette belle héritière joignait à toutes ses qualités celle d’être protégée par la reine, qui projetait de la marier au fameux chevalier de Parny. Mais le marquis de la Rouerie se présenta ; après d’assez longues hésitations de la part de Mme de Saint-Brice, — hésitations motivées par le souvenir de la jeunesse désordonnée du soupirant, — il fut agréé ; et le mariage eut lieu au château de Saint-Brice le 22 décembre 1785 : le marquis était assisté de sa mère, de son fidèle Chafner, et d’une de ses cousines, Mlle Thérèse de Moëlien de Trojoliff, qu’il affectionnait.

L’union ne fut pas heureuse ; après trois mois de mariage, la marquise de la Rouerie, dont la santé était délicate, fut prise d’une maladie de langueur. On appela pour la soigner un jeune docteur du bourg de Bazouges-la-Pérouse, nommé Chévetel, fils d’un médecin honorablement connu dans la contrée, et dont la réputation était grande. Chévetel avait vingt-sept ans ; il était de figure avenante et se recommandait « autant par l’élégance, de ses manières que par la distinction de son esprit ». Dès l’abord, il plut au marquis de la Rouerie qui, dans l’isolement où il vivait, entre son major américain et sa femme malade, se félicitait de cette relation nouvelle. Il était, d’ailleurs, de nature aimante et se livrait vite ; en peu de jours, Chévetel l’eut conquis : le médecin s’installa au château, y devint le conseiller indispensable, si bien qu’ayant ordonné à la malade les eaux de Cauterets, on n’eut pas de peine à le décider à abandonner sa clientèle poursuivre la marquise aux Pyrénées. On partit dès que la saison permit d’entreprendre un si long voyage ; Mme de la Rouerie ne le supporta qu’au prix des plus grandes fatigues ; à l’arrivée à Cauterets, son état avait empiré : elle languit pendant quelques semaines et s’éteignit le 28 juillet 1786,