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Rien donc n’était à tenter avant d’avoir brisé le faisceau des trois puissances du Nord, isolé l’Autriche et gagné l’assistance, du moins la neutralité bienveillante de l’Angleterre.

Comment a-t-on pu inventer qu’en ce moment même, l’Empereur, sans avoir ébauché aucun préparatif militaire, aurait envoyé à l’insu des ministres, au Journal Officiel, un décret prononçant l’annexion de la Belgique, et qu’il l’aurait retiré sur les observations effarées du rédacteur en chef ? Si Napoléon III eût décrété d’annexer la Belgique, il ne se serait pas arrêté devant les scrupules d’un directeur de journal à ses ordres et il aurait préalablement préparé quelques troupes, car à l’instant la coalition que le Tsar avait vainement tenté de renouer se serait reformée active, violente, victorieuse. Ne poursuivant alors qu’un but, la rupture de l’alliance intime des trois cours du Nord, il n’a pas conçu un instant l’inepte pensée de la braver en Belgique, le seul terrain sur lequel elle fût inexpugnable ; c’est en Orient, où elle était mal cimentée, qu’il résolut de la dissoudre.

En Occident, Nicolas ne visait qu’à être protecteur et arbitre ; en Orient, il entendait rester le maître et il n’admettait aucun tiers dans le tête-à-tête qu’il s’était ménagé avec la Turquie, en l’excluant des garanties générales de 1815. Cette prétention autocratique tenait l’Angleterre et l’Autriche en une perpétuelle défiance de sa politique orientale. C’est là que Napoléon III introduisit le coin qui devait faire voler en éclats la Sainte-Alliance.


VIII

La misérable querelle des Lieux Saints vint le servir fort à propos. La Valette l’avait allumée pour se donner de l’importance. L’Empereur en profita pour brouiller les anciens coalisés. Nicolas avait assisté à la campagne, aux fanfares de La Valette, avec une irritation sans cesse croissante. Il n’avait pu prendre son parti de l’octroi aux Latins d’une clef de l’église de la Nativité à Bethléem. Au lendemain même de sa reconnaissance grinchue de l’Empire (12 janvier 1853), il avait annoncé à notre ambassadeur Castelbajac son intention « de parler à ces misérables Turcs avec fermeté ». Il se plaignait que les intimidations de La Valette les avait portés, non seulement à un manque complet de parole à son égard, mais à l’insolence.

L’occasion s’offrait donc, mais, pour ne pas la laisser perdre, il