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présence d’un seul suffirait à évoquer l’ordre tout entier. Et toutes les calomnies attachées à cet ordre seraient réfutées en vain, car son nom est devenu un symbole indépendant des personnes et plus vaste que la Compagnie même. Par ce nom la passion publique exprime et repousse le mélange de la religion avec la politique, et la défense de la foi par des intérêts humains.

M. de Montlosier est là pour conclure. Des abus que la magistrature a déclarés contraires à la loi sont avoués par le gouvernement lui-même : il faut que la magistrature les fasse disparaître en appliquant la loi. Il transforme son Mémoire à consulter en une Dénonciation, et, sans que ce mot lui dénonce à lui-même l’avilissement du rôle où s’abaisse son zèle orgueilleux, il saisit la Cour de Paris. La Cour va-t-elle répondre qu’il n’appartient pas à un particulier de se donner un office public et de mettre en mouvement la justice pour les intérêts de l’État ? Elle sent trop une passion générale, et sa propre passion frémir en cet homme, elle leur donne audience. Invoquant les édits de l’ancien régime, la loi du 18 août 1792 et le décret du 3 messidor an XII, elle constate que le droit commun des régimes les plus contraires « s’oppose formellement au rétablissement de la compagnie de Jésus sous quelque dissimulation qu’elle se présente ; que cette législation est fondée sur l’incompatibilité entre les principes professés par cette société et l’indépendance de tous les gouvernemens » ; mais elle ajoute que le droit de dissoudre ces agrégations illégales « n’appartient qu’à la haute police du royaume, » que le surplus des faits dénoncés « ne constitue ni crime, ni délit qualifié par les lois dont la poursuite appartient à la Cour, » et elle se déclare incompétente[1]. Etrange arrêt où l’incertitude des principes apparaît dans les contradictions de la sentence ! Si les attaques aux doctrines de 1682 n’étaient pas juridiquement punissables, pourquoi Lamennais venait-il d’être condamné ? Si sa condamnation n’était pas un excès de pouvoir, pourquoi la justice se déclarait-elle désarmée contre les coupables de la même faute ? Comment se déclarait-elle impuissante contre les jésuites dans l’arrêt même où elle invoquait la loi de l’an XII, qui remettait expressément aux procureurs généraux le soin de poursuivre les congrégations interdites ? Et c’était elle, gardienne établie pour soustraire la faiblesse aux caprices de la force et assurer aux plus modestes

  1. Cour de Paris, 18 août 1826.