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sollicitait vers Rome, et ce sentiment des disciples, faisant à son tour la leçon aux maîtres, avait surtout ébranlé l’ancienne foi aux droits du Prince sur l’Eglise. Il n’échappait plus à ces fidèles que la royauté n’avait pas compétence pour choisir entre les opinions religieuses, mais ils n’en voulaient pas à cette royauté de se mettre au service des doctrines acceptées par leur conscience, et, s’ils blâmaient le pouvoir politique, en prétendant imposer la déclaration de 1682 comme la synthèse de cette foi, d’avoir choisi la formule illégitime et la mauvaise procédure d’une bonne cause, ils professaient en détail la plupart des croyances exprimées dans les quatre articles. Ces doctrines, que Rome avait retenues à temps sur leur pente, demeuraient encore arrêtées à mi-côte entre l’insoumission vers laquelle elles ne glisseraient plus, et la parfaite obéissance vers laquelle elles ne s’élevaient pas encore. Le gallicanisme restait debout, appuyé sur le bâton pastoral, mais avec l’allure incertaine, la voix affaiblie, et la langueur qui, dans les idées comme dans les êtres, annoncent le commencement de la fin. Ce gallicanisme de transition et de transaction eut pour interprètes MM. de la Luzerne, de Beausset, Frayssinous. Egalement attachés à la France, au Roi et au Pape, ils se persuadèrent, pour n’avoir pas à se prononcer entre ces puissances, qu’elles ne rompraient jamais la paix. Cette hypothèse devint pour eux un dogme politique. La précision des principes qui fixent la part légitime de chaque autorité fut remplacée par l’effusion d’une fidélité promise à la fois à toutes. Ce fut le triomphe des docteurs sans doctrines, l’avènement de la casuistique sentimentale, un nouveau rêve de paix perpétuelle fait par d’autres abbés de Saint-Pierre, le baiser Lamourette de la théologie.

Ce baiser fut au moins donné de tout cœur à l’État par l’Église. Evoques et prêtres enseignent à l’envi l’amour du prince ; des missions, établies d’abord pour réparer les ruines faites dans les croyances par l’impiété révolutionnaire, étendent sur toute la France le réseau d’une propagande qui travaille à affermir l’une par l’autre la foi religieuse et la foi monarchique. Les croix fleurdelisées élèvent sur les places publiques le symbole de cette alliance, et, selon l’ironie de Gerbet, « on voit bien que le fils de Dieu est mort il y a dix-huit cents ans sur un gibet, pour rétablir sur le trône de France la famille des Bourbons ».