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gouvernemens. Ainsi, tandis que de Maistre réfutait la doctrine gallicane sur le pouvoir religieux, Lamennais détruisait la doctrine gallicane sur le pouvoir politique.

Tels deux aigles, en ce matin du siècle, sortent de l’ombre qui remplit encore les vallées et s’élèvent d’une égale puissance, mais non d’un même mouvement, vers la lumière. Le premier s’y meut sans efforts, et, maître de ses élévations, plane, comme en un repos, aux altitudes d’où il contemple le mieux ta terre. Le second s’élance droit vers le soleil qu’il fixe, dans l’éther où il monte toujours ; à cette aurore de sa course, on ne voit que l’amplitude et la vitesse de ce vol qui semble d’un trait unir la terre au ciel. Nul ne se doute encore que dans cette attirance vers les abîmes des hauteurs, il y a un vertige, qu’en s’élevant ce grand esprit se précipite ; que son aile, sous son battement éperdu, finira par trouver le vide ; et que ses yeux se brûleront à interroger d’un regard trop orgueilleux le foyer de toute lumière.

Ce n’est pas en vain que de tels génies dominent leur temps. Solitaires, mais solitaires comme des précurseurs, ils suscitèrent des disciples. Les esprits vastes, les caractères impétueux, les âmes mystiques, sur qui pesait l’abaissement de l’Eglise, tressaillirent à ces appels et à ces espoirs. Le gallicanisme, déjà mais obscurément, combattu par la raison des faits qui abolissaient les circonstances où il s’était développé, et par les raisons du cœur qui rendaient les Papes plus chers aux fidèles, eut dès lors contre lui les raisons de la raison, l’intelligence consciente, armée et audacieuse d’une élite.

Mais la masse des catholiques ne se laissa pas ébranler. La plupart, regardant moins en eux-mêmes qu’autour d’eux, eurent peur, sinon de la liberté, au moins des compagnons et des voies qu’il eût fallu suivre pour l’obtenir.


III

Dans toute l’Europe en effet, au lendemain de 1815, un parti réclamait la liberté. Certes, elle avait à exercer de légitimes reprises, et ses griefs ne dataient pas de 1815. La Révolution et l’Empire avaient répandu dans toute l’Europe les formules d’indépendance et les institutions de tyrannie. L’égalité même, seule réforme qui ne fût pas devenue un mensonge, avait favorisé l’établissement du despotisme. Un art, inconnu depuis l’antiquité, de