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chimère de prétendre à une influence sur un corps établi presque tout entier hors de leurs frontières, sur un chef placé hors de leurs atteintes ; et la doctrine de l’Eglise, se répandant avec pureté et plénitude, portait tous ses fruits. Cette fécondité s’est amoindrie quand cette unité s’est affaiblie elle-même, dès que le pouvoir épiscopal a disputé à la Papauté la direction souveraine de l’Eglise. Pour la défense de leur cause, les évêques se sont naturellement groupés par peuple : c’est ainsi qu’il y a eu des doctrines gallicanes ; qu’à l’image de la France, le catholicisme de chaque contrée a trouvé une expression particulière ; et que la notion d’Etat a pris une importance contradictoire avec la notion toute spirituelle de croyances et de vertus communes à tous les hommes. A mesure qu’elles s’isolaient de la Papauté, leur centre commun, ces Eglises se sont isolées les unes des autres, ont paru seulement unies par une sorte de lien fédératif, et circonscrites, pour l’essentiel de leur vie, dans les limites de la nation. Le gouvernement de chaque nation a eu prétexte pour soutenir que l’Eglise est dans l’Etat et s’immiscer, en vertu de sa juridiction politique, dans les affaires religieuses. Les défiances de ces clergés nationaux contre la Papauté ont empêché que l’indépendance du Saint-Siège opposât à chaque usurpation des couronnes la puissance réunie de toute l’Eglise. L’Eglise a de moins en moins inspiré l’Etat, l’Etat a de plus en plus dominé l’Eglise. L’humain étouffe le divin.

De Maistre, déjà mûr d’âge et de pensées quand éclata la Révolution française, avait, de ses montagnes, contemplé notre tempête et, à la lueur des éclairs, vu l’avenir. Il avait compris qu’une société nouvelle se préparait où la politique des gouvernemens et leur durée même deviendraient instables, que par suite, pour diriger, défendre et accroître sa vie, l’Eglise devait compter sur elle seule, concentrer sa force, redevenir l’unité indivisible d’autrefois. Les deux livres Du Pape et De l’Eglise gallicane, publiés l’un en 1819, à la fin de sa vie, l’autre en 1826, au lendemain de sa mort, furent le legs de sa pensée au catholicisme et à la France. Les deux titres exprimaient les deux idées maîtresses du système : c’est le Pape qu’il fallait rétablir dans sa souveraineté ; c’est l’Eglise gallicane, principal auteur des ébranlemens subis par cette souveraineté, et instrument indispensable à la restauration pontificale, qu’il fallait ramener à l’obéissance. Tirant les questions catholiques des arcanes théologiques, de Maistre, comme Pascal, sut transporter dans la langue de tous la controverse